Ambroise c'est un garçon simple. Même si son prénom est vieux jeu, il sort de la classe moyenne. Les Chevalier, ce sont des gens simples, bienheureux. Le papa est jardinier paysagiste, la maman est professeur des écoles. Le fils est unique et heureux.
Puis, un jour, il a dix ans. Et sa mère se barre. Mais c'est pas trop grave. Il lui reste son père--cet homme poétique qui aime les fleurs plus qu'il n'aimait sa femme, sûrement. Ils s'en sortent, la vie suit son cours. Ils déménagent dans un petit appartement dans un quartier populaire de Paris. Ils ne parlent plus jamais de sa mère, et aucune femme ne pointera jamais le bout de son nez dans leur petit monde. Ils s'aiment, et ça leur suffit. Ils sont père et fils, mais surtout amis. Et un jour, Ambroise rêve de gagner assez d'argent pour pouvoir leur acheter une maison à Grasse. Ils auraient enfin un jardin à eux. Son père pourra faire pousser toutes sortes de fleurs. Et lui, il plantera les légumes. Mais en attendant, ils feront leur temps à Paris.
Et tout allait bien, vraiment. Jusqu'à ce que son père, coupable de voir son fils si peu sociable, en difficulté pour se trouver une nourrice abordable pour un gamin presque adolescent, lui présente Louis.

Louis, c'est un gosse de riche. C'est le petit-fils de la cliente de son père. Ambroise n'a jamais clairement su combien de maisons et autres villas ils avaient à travers la France. Louis a plus ou moins le même que lui, alors, pour les adultes, ils étaient convenus qu'ils deviennent amis instantanément. Mais Louis et Ambroise se détestent, un peu et passionnément, tout à la fois.  Louis, c'est un gosse trop riche. Il est intelligent et cultivé. Il a déjà tout d'un homme influent.  Louis, il se tient droit. Louis, il s'habille comme s'il sortait d'une autre époque, d'un monde autre. Louis, il est dramatique et compliqué. C'est une diva. C'est un charmeur. C'est un con, aussi. Louis et Ambroise s'adorent. Un peu et passionnément, aussi. Ambroise ne sait pas trop pourquoi. Et, pour une fois, Louis ne doit pas avoir la réponse non plus. Un jour, ils ont développé une amitié bien trop forte pour eux. Et ils se sont mis à tout partager, à vivre en symbiose. Mais, en vrai, Ambroise n'a jamais réussi à se voir comme autre chose qu'un fantôme traînant dans l'ombre du Grand Louis. Y a que dans les rues, les bars et les grands espaces qu'Ambroise devient son égal. Louis ne voit peut-être pas les choses de cette manière, mais personne ne peut nier le fait qu'une animosité bouillonne sous la surface de leur amitié.
Ambroise regrette un peu de ne pas avoir d'autres amis. Il a beau savoir sourire, charmer, plaisanter, il s'attache pas, il s'est jamais attaché. Il a toujours été un peu seul au monde avec son Louis. Petits, ils se prenaient pour deux héros attendant la guerre. Aujourd'hui, Louis est un jeune prêt à entrer dans les pas de son père (et de son grand-père avant lui, et sûrement de tout un tas d'autres hommes importants que leur lignée a pu connaître). Et aucun grand homme n'a besoin d'une ombre comme Ambroise. Il lui a montré comment s'amuser dans les pubs, comment naviguer la nuit dans les rues sombres et populaires de Paris-Sud. Aujourd'hui, Louis n'a plus besoin de lui. Il s'est même fiancé à une jeune fille insipide qui vit dans son ombre, elle aussi. Alors Ambroise s'est barré. Il a quitté son boulot de misère, il a quitté la Sorbonne et ses études minables. Et il s'est installé à Vérone. Et il compte bien s'épanouir aux Beaux-Arts--parce qu'après tout, s'il y a bien quelque chose qui lui reste de son aventure dans le monde luxueux que lui a présenté Louis, c'est une appréciation précise et profonde pour l'Art et la Beauté.