Choisis-moi... ~ Romeo

La jeune femme observa son reflet pâle une dernière fois dans le miroir de sa chambre qui lui servait également de salon. C'était petit mais à son image et elle s'y sentait parfaitement bien. Elle ajusta sa petite veste et hésita une dernière fois à attacher ses cheveux. Devait-elle le faire ? Peut-être que le patron le préfèrerait et que cela ferait mieux pour une serveuse. Elle attrapa donc un élastique et se fit une queue assez haute en tirant parfaitement bien ses cheveux pour qu'aucun ne dépasse de son crâne. Luna se trouvait jolie. Pas belle car personne ne l'avait jamais qualifiée ainsi. Même pas sa mère. On disait toujours d'elle qu'elle était jolie et elle le croyait. Elle ne faisait juste pas partie de ces femmes sûres d'elles, un peu femmes fatales qui avaient le droit à l'adjectif belle. Elle avait toujours soigné son image quand il le fallait. Et aujourd'hui il fallait qu'elle fasse bonne impression. Elle avait décroché un entretien dans un bar de la ville. Il fallait vraiment qu'elle aie ce job. Elle voulait s'en sortir seule et ne surtout pas être un poids pour ses parents. Elle n'en était pas vraiment un mais elle savait que ses parents n'étaient pas non plus très riches. Elle voulait donc réussir à avoir un petit salaire en plus de celui qu'elle avait en tant qu'apprenti dans le studio photo où elle étudiait. Elle se remit du mascara. Luna n'était pas quelqu'un qui se maquillait trop. Elle n'aimait pas vraiment ça et préférait rester naturelle. C'était sans doute cela qui faisait qu'elle passait assez inaperçue à côté d'autres femmes. Elle regarda une dernière fois son reflet et souffla longuement. C'était bon. Elle était prête. Elle sourit légèrement, attrapa sa pochette avec ses papiers, son sac, puis c'était parti.

Elle descendit l'étage qui la séparait de la rue puis elle sortit au soleil. Elle adorait tellement son pays où il faisait si bon ces temps-ci. Vivant dans le centre-ville, il y avait toujours de la vie, du bruit, une certaine ambiance. Elle adorait ça. Elle ne supportait pas quand c'était trop silencieux. Elle se sentait comme oppressée par cette solitude qui la pesait et prenait possession de son être. Elle mit ses lunettes de soleil et se dirigea tout naturellement vers la rue où se situait le bar. Elle avait réussi à avoir un entretien dans l'un des bars les plus réputés de la ville. Elle n'y était jamais allée mais elle en avait beaucoup entendu parler. C'était sans doute cela qui l'avait poussée à y postuler. Plus le bar était réputé, plus elle aurait de pourboires. Elle poussa la porte d'entrée et pénétra dans la pièce qui serait peut-être bientôt le repaire de ses nouveaux clients. Elle se dirigea d'un pas sûr vers le comptoir et se présenta. « Bonjour ! Luna Fortini, je viens pour un entretien prévu à 17 heures ! » Elle avait un grand sourire aux lèvres et la serveuse devant elle pouvait lire à quel point elle était motivée. Elle eut le temps de la détailler. Celle-ci était grande, brune, élancée. Tout son contraire. Cette femme faisait très clairement partie de la catégorie des belles femmes. Elle lui sourit en retour.« Parfait, tu es en avance ! Un bon point pour toi il va aimer ça ! » Elle se lava les mains et se les essuya puis fit le tour du comptoir en indiquant à Luna de la suivre. La jeune femme la suivit en trottinant légèrement comme une enfant ayant peur de perdre son repèrr et passa donc à l'arrière.« Alors surtout tu ne l'interromps jamais et tu le regardes droit dans les yeux quand tu lui réponds. Sois nette et concise dans tes réponses. Il va se montrer chiant et autoritaire. Un patron quoi. Mais en ce moment je t'avoue qu'il est encore plus chiant. » Elle leva les yeux au ciel et se retourna vers Luna en lui souriant. « En tout cas, bonne chance et montre lui que tu as du caractère. Il n'aime pas les serveuses qui se laisseraient faire par des clients. » Elle lui fit un clin d'œil et la laissa là après avoir frappé à la porte du bureau.

Luna prit une grande inspiration et attendit sagement devant la porte. Elle se demandait qui pouvait bien être ce patron qui avait l'air assez ferme vu ce qu'en disait son employée. Était-il si autoritaire que cela ? Faisait-il régner la terreur dans son bar qui se remplirait d'alcool et de brouhaha dans quelques heures ? Mais Luna avait du caractère et allait le lui montrer sans le craindre et sans se montrer désagréable. Il lui fallait ce job et elle allait tout faire pour. Elle fixa simplement la petite plaque avec le mot direction et attendit patiemment de rencontrer son possible futur patron. Dans sa tête elle s'amusait déjà à l'imaginer. Elle le voyait grand, d'un certain âge mais qui avait une certaine classe vu le style du bar. Elle l'imaginait les cheveux grisonnant mais n'enlevant rien à son possible charme. Elle aurait pu le voir bienveillant mais vu le portrait de la serveuse, cela ne serait malheureusement pas le cas. Elle lui imaginait toute sorte de têtes, avec les cheveux courts, longs, avec des cornes sur la tête vu le monstre qu'il avait l'air d'être en ce moment. Un petit gloussement passa ses lèvres et son sourire ne quitta pas le coin de sa bouche, lui donnant un air espiègle. Et cela même quand la porte du bureau s'ouvrit enfin...

Plongé dans un silence rare, le bar respire le luxe.
Au rez-de-chaussée, le comptoir en bois s'étend d'un bout à l'autre, avec une rangée de chaises ultra confortables grâce à leurs coussins en velours rouge passion, rouge poison. Une fois allumés, les lustres diffusent dans la pièce une lumière tamisée dont les habitués raffolent puisqu'ils peuvent avoir l'impression de disparaître, d'être embaumés dans un aura rempli de mystères & de secrets. Sur la gauche, un escalier en colimaçon surmonté d'une gigantesque sculpture de bois & rehaussé d'un liseret doré. Les murs sont intelligemment décorés de photographies & de tableaux hors de prix, signés par de grands noms d'artistes. Ce bar, Romeo en est fier.
Mais sa femme veut le lui prendre, puisqu'elle est l'une des propriétaires, & parce qu'elle a versé une somme d'argent considérable dans la réalisation de ce projet. Son plus proche ami, architecte, a retranscris sur papier les idées du couple afin que cet endroit soit l'un des plus prisés de Vérone.
Tous les jours, elle le menace. Tous les jours, il se sent obligé de la calmer à grands coups de paroles cinglantes. Il l'a tant aimé que ça lui fend le cœur de voir leur mariage se fissurer péniblement & perdre ainsi de sa magnificence. L'un & l'autre auraient pu préserver leur image. Au lieu de ça, ils se déchirent & en viennent à se détester. Rien n'est plus vraiment pareil à présent. Ni la façon dont ils se parlent, ni les regards échangés, ni le rythme de leur cœur qui ne battent plus en parfaite symbiose.

Tandis qu'il entreprend de gravir les marches de l'escalier, la porte d'entrée grince & s'ouvre sur la silhouette de Giulia, la serveuse responsable des lieux lorsque Romeo s'absente, lorsqu'il préfère passer ses soirées dans les bras d'autres jeunes femmes, lorsqu'il préfère rejoindre ses amis & déverser sa colère dans des litres d'alcool. Il a confiance en elle. & en plus de ça, il l'apprécie très sincèrement.

« Bonjour Romeo »

« Bonjour Giulia, comment vas-tu ? »

« Très bien merci, & vous ? »

« Très bien. Une jeune femme va venir pour l'entretien, je te laisse l'accueillir & me l'amener ? »

Giulia acquiesce, Romeo achève donc de gravir les marches afin de rejoindre son bureau. À l'intérieur règne un calme incroyable. Romeo est le seul à pouvoir mettre les pieds ici. C'est son univers, son monde, son échappatoire. Dans un chuchotement feutré, les quatre pieds de sa chaise frottent le sol lorsqu'il l'écarte de son bureau. Il s'assoit & attrape le CV de la jeune femme qu'il attend. Luna. Pas de photo sur son CV, mais Romeo ne s'en formalise pas. Il n'engage pas les filles pour se retrouver entre leurs hanches, à voir s'échauffer leurs reins jusqu'à ce qu'elles en oublient leur propre prénom. Depuis que sa femme & lui ont lancé la procédure de divorce, il tend à devenir l'homme correct qu'il n'a jamais été, sauf peut-être pendant ses premières années de mariage.

Deux coups sont frappés à la porte. D'abord, Romeo essaye d'occulter. Puis il repose finalement le CV & traverse le bureau. Il passe une main à travers ses cheveux bruns & époussette sa chemise noire, plus par habitude que par réelle nécessité.

« Bonjour. Luna Fortini ? Romeo Visentini. Entrez, commence-t-il en s'effaçant de l'embrasure de la porte. Installez-vous. »

Lui-même contourne son bureau & s'effondre dans son immense fauteuil. Quelques mèches tombent un peu sur son front, il les rejette donc aussitôt en arrière & pose son regard azur sur le visage pâle de la jeune femme. Elle est magnifique, évidemment. Elle a ce petit quelque chose en plus, ce petit plus qui pourrait facilement lui faire tourner la tête. Parce qu'il a toujours été faible envers les filles. Il n'est qu'un homme, après tout.

« Merci d'être venu. Je vais commencer par vous parler de la maison, si vous le voulez bien, dit-il en se mettant plus en arrière, son dos fondant dans le dossier moelleux du fauteuil. J'ai ouvert ce bar en 2013, avec mon associée. C'est un endroit assez sélecte, déjà par rapport à son histoire, mais aussi par ces prix. La sélection se fait naturellement. Au rez-de-chaussée, ça se passe comme n'importe quel bar, je vais pas vous faire un dessin. À l'étage, on organise les soirées caritatives, avec les gens de la haute. Giulia pourra vous en parler plus en détails un peu plus tard. J'ai vu que vous étiez disponible la semaine, ça ne risque pas d'être problématique vis-à-vis de vos études ? »

Il en a connu, des étudiantes visiblement courageuses puis finalement très vite à bout, très vite découragées. & ça a franchement le don de lui casser les couilles.

« Vous n'avez pas non plus d'expérience, ça ne vous fait pas peur ? C'est un rythme assez effréné de bosser ici, prévient-il en croisant ses bras contre son torse, les muscles de ses bras se tendant dans le mouvement. Pour être honnête, je n'ai ni le temps ni la patience de faire passer d'autres entretiens. Vous avez été la première à répondre à mon annonce, je vais donc vous prendre à l'essai pendant 15 jours. Vous serez sous la responsabilité de Giulia. Vous voulez visiter ? »

Le rythme cardiaque s'accélère à mesure que la porte s'ouvre. Les yeux de la jeune femme se posent tout naturellement sur cette main ferme tenant la poignée. Elle peut voir les veines remonter le long de cet avant-bras puissant à la peau halée. Ses prunelles remontent lentement le long de cette chemise noire impeccable et enfin, elle croise rapidement le regard de celui qui sera peut-être son patron. Elle a le souffle coupé durant quelques secondes à peine qui ont l'air d'une éternité. L'homme présent face à elle est magnifique. Elle ne sait lui donner un âge mais il n'est clairement pas l'homme légèrement âgé qu'elle s'est imaginé quelques secondes plus tôt. Il dégage énormément de charisme. Ses yeux bleu glacés l'ont hypnotisée durant la seconde où elle les a croisés. Elle entre dans son antre quand il le lui autorise. Elle prend le temps de l'observer. Sobre et classe. Comme son propriétaire. Peut-être un peu trop froid. Mais ça, elle ne peut pas encore le savoir. Romeo... Quelle douce ironie quand on se trouve à Vérone. Cette pensée l'amuse légèrement mais ne laisse rien paraître. Elle s'assoit à sa demande et se frotte rapidement les cuisses avant de croiser ses jambes.

Dès qu'il parle, sa voix grave la transperce. Elle écoute sagement l'histoire de ce bar. Elle veut en savoir plus. Elle veut tout connaître d'ici. Elle veut savoir ce qui l'a conduit à créer un tel lieu, une telle ambiance. Luna a toujours été curieuse depuis son plus jeune âge. A sa question, elle sourit doucement. Elle a toujours son air sûr d'elle. Car elle sait ce qu'elle veut. Et ce job, elle l'aura.« Merci à vous de me recevoir et non. Je travaille dans un studio photo et ce n'est pas forcément tous les jours vu que j'ai encore des cours. Je suis donc libre chaque soir sans aucun problème. Je n'ai pas peur du travail, vous verrez. J'aime ça d'ailleurs. » Sa mère lui en a souvent fait la remarque. Elle l'a souvent traitée de bosseuse, lui disant qu'elle travaillait bien trop. Elle ne rechigne jamais sur les heures de travail. Et elle y met du cœur.

Evidemment, son manque d'expérience resurgit. Elle n'a pas écrit sur son CV avoir fait quelques heures dans le restaurant d'amis à ses parents pour les aider les soirs où ils étaient débordés. Mais elle ne veut pas mentir. Ce n'est pas une réelle expérience. « J'adore apprendre et je le fais très vite. Et je recherche un travail, pas une cure. » Elle sourit légèrement tout en le fixant. Son sourire s'élargit un peu plus quand il confirme qu'elle est à l'essai. Parfait. « Merci ! Je ne vous décevrai pas ! Et je veux bien visiter oui. Giulia va le faire ou j'aurai l'honneur d'en entendre plus sur ce bar de votre part ? » Elle se mordille furtivement la lèvre. Elle veut vraiment qu'il lui en explique d'avantage.« Et je peux commencer dès ce soir ? Vous exigez des tenues particulières ? » Elle ne demande pas ça par amusement. Elle sait que dans certains endroits il ne souhaitent que la robe ou une jupe et aucun pantalon. Elle le fixe. Elle laisse son regard dévier le long de sa mâchoire, descendre sur son torse et ses bras musclés. Cet homme est vraiment magnifique. Elle en a rarement croisé d'aussi beau. Mais cet homme est et restera son patron.

Force est de constater que Romeo est infiniment plus doué pour honorer ce bar plutôt que sa propre famille. Le temps que Luna pointe le bout de son nez, il a eu le temps de se plonger dans ses souvenirs brumeux, à l'époque où il a perdu la capacité de démêler, dénouer les angoisses de sa femme, où il a perdu l'envie d'écouter les premiers émois de son fils, où il a commencé à éprouver des difficultés à rentrer chez lui. Au bout d'un moment, le modèle rassurant de sa vie de famille est devenu insignifiant ; il se foutait d'être le mari de cette princesse, il se foutait d'être le père d'un garçon très intelligent & visiblement déjà prêt à accomplir de grandes choses. Il a perdu le goût de vivre, tout ça parce que les épreuves vieilles d'une dizaine d'années résonnent encore douloureusement dans ses cauchemars les plus tenaces. & malgré la tendresse dont Gabriella a longtemps fait preuve, en dépit de sa colère injustifiée, en dépit de ses sautes d'humeur, en dépit de son rôle de père mal assumé, Romeo a compris que leur mariage n'avançait que sur le fil d'une routine devenue trop pesante.
Alors, c'est un soulagement quand la jeune Luna arrive enfin & l'arrache à ses démons. Il n'a pas le cœur d'être désagréable ou de lui en faire voir de toutes les couleurs. Pas aujourd'hui. Pas maintenant. Pendant que Romeo l'interroge, il oublie les appels incessants de sa future ex-femme, il oublie ses menaces, il oublie que ce bar ne lui appartiendra peut-être bientôt plus, il oublie tout ce qu'il pourrait perdre.
Il oublie tout. Dans ces yeux clairs. Cette gonzesse est incroyablement belle. Ses cuisses semblent vibrer d'un appel charnel qu'il ignore facilement puisqu'il ne peut plus se permettre d'écarts, puisque sa femme a des yeux & des oreilles absolument partout.

« Très bien, c'est bon à savoir. Je recherche des personnes motivées, qui n'ont pas peur de faire des horaires décalés. »

Le travail est l'élément sans doute le plus important de sa vie, à tel point qu'il ne peut concevoir de passer son temps à pourrir dans un coin sans aucune occupation. Quand il ne gère pas les commandes quotidiennes, il part à la recherche de nouveaux tableaux pour sa décoration. Quand il n'analyse pas son fond de commerce & l'étendue de ses bénéfices, il aide ses serveurs & serveuses derrière le bar. & il attend de ses employés qu'ils réagissent de la même manière.

« Je vais m'occuper de la visite, j'ai chargé Giulia de préparer le bar avant l'ouverture de ce soir. »

Les mains appuyées sur ses coudes pour se relever avec une classe innée, Romeo s'approche finalement de l'immense baie vitrée qui donne sur la belle Verone. Dehors, les gens vont & viennent, levant leurs yeux curieux vers la bâtisse du bar, en pierre & entourée d'un muret protecteur. Au milieu, un portail doré qui s'ouvre sur une allée près de laquelle s'étirent des parterres de fleurs.
Il passe ses mains dans les poches arrière de son pantalon noir, & se tourne enfin vers Luna, visiblement très impatiente de commencer son nouvel emploi. Cet entrain a le don de sérieusement le séduire.

« Vous pouvez commencer ce soir. Quant au code vestimentaire, honnêtement c'est selon votre convenance. Évitez les survêtements, bien entendu. Les jeans également. Pour le reste, ça m'est égal. Jupe ou pantalon, ça n'a aucune importance, commence-t-il en l'invitant à se lever d'un petit signe de tête. Je ne veux pas que ça soit vulgaire non plus. Je veux de l'élégance. »

Même s'il aime les femmes peu vêtues, même s'il aime les soirées où les femmes abandonnent totalement leur dignité simplement pour satisfaire le plaisir des hommes, Romeo refuse que son bar ait des allures de déchéance où les putes viennent pomper le fric des plus aisés. La main enroulée sur la poignée de la porte, il l'ouvre dans un chuchotement délicat & s'écarte afin que Luna le précède. Au passage, il s'autorise une œillade vers son décolleté, un voile dominant dans les prunelles & une prestance impressionnante dans chacun de ses gestes. Puisqu'il a toujours eu suffisamment confiance en lui vis-à-vis des autres, & parce qu'il est doté d'une certaine arrogance que personne n'a jamais su lui enlever, pas même sa femme, pas même l'armée.

« Ici donc se déroulent les soirées mondaines. Vous ne serez jamais seule ces soirs-là, je serai toujours présent. La porte est généralement fermée, je ne tiens pas à ce qu'il y ait des débordements. Sachez d'ailleurs que je vous tiendrai responsable de tout ce qui se passera ici en mon absence. »

Il ouvre ainsi la porte sur une salle absolument immense. & lorsque les lumières s'allument, s'échappant des dizaines de lustres en cristal, des paillettes de luxe illuminent des tables en bois massif, toujours rehaussé de ce liseret en or caractéristique du lieu. Romeo patiente quelques instants, le temps que Luna observe. Puis il l'invite à sortir de la pièce, glissant la clé dans la serrure pour verrouiller la porte jusqu'à la prochaine soirée. Ses pas foulent ensuite le sol jusqu'à ce que tous les deux rejoignent l'escalier en colimaçon, se dirigeant donc vers le rez-de-chaussée où Giulia s'affaire avec énergie & professionnalisme. Elle lance un sourire à Luna.

« Je laisserai Giulia vous montrer l'essentiel du bar après notre visite, ça ne sera pas long. Suivez-moi, ordonne-t-il en l'emmenant plus loin. Nous avons quelques vestiaires ici pour les clients. Nous fonctionnons avec un système de clés, Giulia vous expliquera également plus tard. Les toilettes sont ici. »

& quelques mètres plus loin, une ultime porte.

« Ici, l'accès est donc réservé au personnel. Je vous donnerai la clé de votre vestiaire dans la semaine. Est-ce que vous avez des questions ? »

La jolie blonde tente de vendre sa motivation au mieux puisqu'elle n'a jamais eu de réelle expérience dans le domaine du service. Elle n'a donc essentiellement que ce côté à mettre en avant pour le moment. Et ça a l'air de parfaitement fonctionner. Son sourire ne quitte plus ses lèvres aloès que cette fois-ci, elle détaille son boss qui vient de se lever et lui faire dos. Et son dos justement... Il a les épaules larges, le dos musclé - cela se devine à travers sa chemise. Son regard descend plus bas encore et elle se mordilla légèrement la lèvre en découvrant son fessier qui a l'air encore plus musclé pour certaines choses bien indécentes. Elle rougit faiblement à cette idée et relève les yeux sur son visage quand elle l'entend se retourner. Cet homme est jeune et magnifique. Il a vraiment tout pour lui. Il réussit également sa carrière professionnelle. Ce mec est donc inaccessible. C'est toujours comme cela que cela fonctionne de toute façon. Luna le sait parfaitement. De plus, il doit tellement avoir de conquêtes. De belles femmes justement. Elle se concentre donc sur le fait qu'elle peut commencer le soit-même et qu'il va effectuer la visite. Tant mieux. Elle adore déjà l'écouter parler. Pour le moment, il ne ressemble en rien au portrait que Giulia lui a fait un peu plus tôt. Il est tour simplement un patron exigeant et qui sait ce qu'il veut. Peut-être qu'il se transforme en monstre pendant les services. Un peu comme un loup-garou un soir de pleine lune. Elle se retient de rire à cette nouvelle idée complètement absurde et le suit sagement. Sa remarque sur les vêtements l'arrange comme lui rappelle qu'elle va devoir aller s'acheter un peu plus de vêtements classes vu le standing du lieu. On lui a souvent reproché que pour ses 23 ans elle s'habille comme une ado de 17 ans. Mais elle n'y peut rien si ça lui va encore. Elle ira donc faire les boutiques dès le lendemain midi pensant sa pause. Elle ne veut surtout pas risquer de tout foirer pendant ses 15 jours d'essai. Elle donnera tour pour garder cet emploi.

La jeune femme passe devant lui pour quitter le bureau et se prend en plein nez les effluves de son parfum. Les parfums hommes l'ont toujours rendue folle. Elle adore ça et pourrait en respirer toute la journée au creux du cou de quelqu'un. Et Romeo a un parfum qui le représente tellement bien. Fort, boisé... Qui donne envie de se coller à lui pour finir entêté par son odeur. Elle se reprend quand sa voix suave atteint ses oreilles et n'arrive pas à retenir une exclamation en découvrant la salle en question. C'est magnifique et elle ne cache pas son impression. Elle avance un peu pour mieux admirer la salle.« Wow... J'adore vraiment ce que vous avez fait de ce lieu. Un bijou chic et branché en plein centre ville. » Elle lui sourit et tourna sur elle-même un petit instant en admirant les lustres au plafond, ceux-ci lui donnant un léger vertige. Elle se stoppe et rejoint son patron quand ce dernier lui indique qu'il est temps de quitter ce petit palais caché derrière une porte fermée à clés. Elle rend son sourire à la serveuse qui est donc sa nouvelle chef puis suit à nouveau son boss en écoutant ses instructions. Ses ordres lui arrachent un léger frisson qu'elle ne contrôle pas. Elle ne sait pas s'il est également ainsi dans sa vie personnelle mais cela a quelque-chose d'excitant.

La visite terminée elle lui sourit. De ce sourire doux et sincère qu'elle a toujours eu. « Non, tout est absolument clair et parfait. » Elle se mordille légèrement la lèvre comme un petit tic nerveux. « Juste, je suis fumeuse. Enfin, je fume peu. C'est pour savoir si chaque soir de service je pourrai prendre juste une pause cigarette. » Elle grimace légèrement. Certains patrons détestent ça mais elle préfère être franche. Si ça ne plaît pas à Romeo elle fera en sorte de ne pas fumer pendant son service « En tout cas j'adore vraiment ce bar. Il est magnifique. Je sens que je vais beaucoup m'y plaire. Merci de me donner ma chance. » Nouveau sourire de sa part alors qu'elle a l'impression d'être toute petite face à la prestance de cet homme. Elle n'en a pourtant pas peur. Mais son charisme mettait tout le reste dans l'ombre. Y compris la jeune photographe.« Je ne vais pas prendre de votre temps plus longtemps. Vous devez avoir mille choses à faire d'ici ce soir. Je vais voir Giulia pour qu'elle m'explique tout et l'aider du mieux que je peux. » Elle lui tend la main dans un geste sûr et professionnel comme pour sceller un pacte entre eux avec ce job.« Je ne vous décevrai pas. En aucun cas. » Elle ne le quitte pas des yeux pour montrer à quel point elle est sérieuse.

Lorsqu'elle tourne sur elle-même, Luna envoie valser quelques particules de son parfum sur le nez de Romeo qui, immédiatement, se sent forcé d'effectuer un pas en arrière. & pourtant, ses yeux s'accrochent à son visage d'adolescente, à ses cheveux retenus en une queue de cheval impeccable, à son air émerveillé face à tant de luxe & de perfection. Romeo n'est pas ce genre d'hommes qualifiable de polyamoureux ; il a simplement très peu de volonté lorsqu'il s'agit de résister à la gente féminine. Selon lui, les femmes sont réellement le sexe fort. Bien sûr, il les domine. Bien sûr, il aime s'imposer & les soumettre à ses moindres désirs - que ceux-ci soient d'ordre professionnel ou tout à fait intime. & bien sûr, il sait qu'elles peuvent s'avérer être particulièrement manipulables. Mais il est forcé d'admettre que sans elles, il serait bien triste & malheureux. Chacune est magnifique à sa façon. Chacune l'attire profondément, sans qu'il ne puisse contrôler quoi que ce soit.

Les mots de Luna retentissent en écho à ceux prononcés par sa femme quelques années plus tôt. Son regard appuie le commentaire &, sans prendre le temps de la remercier, il l'enjoint à quitter la pièce réservée aux soirées privées. Le silence s'étend à l'infini le temps que tous les deux rejoignent le reste de l'immense palace, au sein duquel ne résonne que le bruit de la vaisselle qui tinte, provoquant d'ailleurs de désagréables frissons le long de sa colonne vertébrale. Il déteste lorsque Giulia ne traite pas le verre avec une délicatesse exemplaire - & il ne tardera pas de lui faire la remarque un peu plus tard, pour la énième fois. À croire que cette gamine aime les remontrances.

« Vous n'êtes pas encore en service que vous pensez déjà à vos pauses ? » lance-t-il sur un ton agrémenté de faux airs de reproches.

Étant lui-même fumeur, il peut parfaitement comprendre cette dépendance très difficile à surmonter. Ses propres poumons s'encrassent chaque jour un peu plus, se gangrènent un peu plus de cette fatalité sombre qu'il leur impose quotidiennement, à chaque clope allumée, à chaque bouffée d'air toxique avalée. L'air de sa villa est chargé de cette odeur de tabac froid absolument infâme dont il peine à se débarrasser. C'est vrai, ça l'insupporte. Gabriella s'est cependant donnée tant de mal pour l'enjoindre à fumer à l'extérieur de leur palace, lorsqu'ils vivaient encore ensemble, qu'il éprouve aujourd'hui ce léger sentiment de rébellion stupide qui le pousse à faire tout ce que son ex-femme détestait.

« Merci pour les compliments. Pour en revenir à vos pauses, vous les utiliserez comme bon vous semble. Vous aurez deux fois quinze minutes. Vous commencerez votre service à 19h & le terminerez aux alentours de 2h du matin. Quant au salaire, il sera légèrement supérieur au tarif réglementaire. »

Sa fine main se tend vers Romeo, lequel prend le temps de sonder la jeune femme. Les vagues de sa queue de cheval contre la peau laiteuse de son cou, le fuselage de ses jambes, sa poitrine à peine assez grosse pour remplir la paume d'un homme, sa taille de guêpe, tellement différente de celle de Gabriella avant ou après sa grossesse, ses yeux rehaussés de sourcils imposants qui sont sans doute la source de tout son charme. Pas de doute, cette gosse va le rendre dingue.
Sa main puissante va saisir la sienne, aussitôt tiédie dans la caresse inhérente au geste de politesse. La poigne de Romeo est ferme. Il n'a pas peur d'écraser ses doigts, d'imposer sa force & sa musculature.

« Je l'espère. Suivez-moi, nous allons rejoindre Giulia. »

Dans un silence feutré par leurs pieds foulant le sol recouvert d'une moquette rouge sombre, les deux italiens rejoignent la pièce principale. Giulia lève à peine le nez, visiblement concentrée sur sa tâche consistant à nettoyer au mieux les verres qui passeront de mains en mains durant la soirée. Romeo passe derrière le comptoir & l'observe, le regard chargé d'un aplomb renversant & déstabilisant.

« Je te laisse t'occuper de Mademoiselle Fortini, j'ai encore des choses à régler. Ne me dérange sous aucun prétexte, t'es assez grande pour gérer les clients. Tu lui montres tout sur les boissons, la manière dont fonctionne l'encaissement des extras. Ah. & t'as intérêt de m'enlever les traces de doigts que t'as laissé sur le verre, crache-t-il avant de se tourner vers Luna. Bienvenue chez nous. »

Après avoir gravi la première marche de l'escalier en colimaçon, Romeo se retourne & attrape l'énorme corde torsadée afin de la tendre d'un bout à l'autre, bloquant ainsi l'accès à l'étage. Dans sa grâce habituelle, il monte, monte encore, puis disparaît dans son bureau, l'atmosphère au rez-de-chaussée devenant ainsi soudainement plus légère & plus respirable.

« Sérieusement Luna, faut que tu t'grouilles un peu, s'il voit que tu traînes, il va te tomber dessus. Je l'ai croisé en arrivant, il est d'une humeur de chien. Je sais qu'il avait l'air cool pendant ton entretien, mais c'est plutôt rare tu vois. Il arrive, bouge-toi ! » panique Giulia, s'empressant de servir les clients.

Romeo jure dans le décor. Une veste blanche réalisée par son créateur favori repose dignement sur ses épaules - sa peau halée contrastant de manière presque irréel avec ce blanc impeccable -, un pantalon noir habille ses hanches, & les cheveux balancés en arrière, il provoque quelques sourires de la part des femmes qui l'estiment pourtant inaccessible. Pas parce qu'elles ont déjà essuyé des refus (elles n'ont d'ailleurs jamais tenté leur chance), mais parce qu'elles ne l'ont jamais - jamais ! - vu repartir aux bras de qui que ce soit. Certaines le pensaient marié. Mais d'autres ont vite détruit cette théorie en pointant du doigt l'absence d'alliance autour de son annulaire.

En voyant l'étendue de clients accoudés au bar, Romeo décide de venir filer un coup de mains aux deux jeunes femmes. Immédiatement, c'est Luna qui l'hypnotise, Luna & sa taille fuselée, Luna & son visage de porcelaine, Luna & ses deux petits seins dont pointent les mamelons sous son haut en soie (d'apparence) peut-être à cause de la climatisation qui souffle sans relâche derrière le comptoir & propulse dans toute la pièce la saveur de son parfum fruité. Luna & ce frémissement inexorable qu'elle flanque dans le bas de son ventre, entre ses cuisses, sans qu'il ne puisse y faire quoi que ce soit.

« Vous vous croyez en maison de retraite, les filles ?, lance-t-il brusquement en attrapant les verres qu'il remplit avec habileté & rapidité. La soirée est pourtant calme, Luna, si c'est trop difficile pour vous, il est encore temps d'abandonner. Bordel, faut tout faire soi-même ici, c'est pas possible. Où est Adriano ?! »

« En salle, avec les clients » répond Giulia.

« Bon sang, quelle équipe de bras cassés. Qui est chargé du putain de stock, merde, il n'y a plus une seule bouteille de rhum! »

Adriano, un autre serveur au service depuis plusieurs années déjà. Un type bien, pas forcément classe, pas forcément canon, mais suffisamment enthousiaste & poli pour fidéliser les clients. Romeo lui a déjà donné toute sa confiance, mais ce soir, rien ne saura calmer ses nerfs en fusion.

Elle le fixe. Elle ne baisse pas les yeux malgré sa question. Elle garde son sourire à la commissure de ses lèvres, un peu caché comme par peur qu'il le lui vole à jamais. « Je ne demande juste pas d'autres pauses que celles-ci. Et au moins, je suis sincère avec vous dès le début. » Elle n'a pas froid aux yeux et le lui montre. Elle ne demande rien de plus qu'une pause clope pendant sa soirée de travail. Romeo lui explique le fonctionnement du service puis ils rejoignent Giulia. Et sa façon de parler à son employée n'enlève en rien le sourire de Luna qu'elle garde précieusement en façade. Elle le regarde partir. Classe. Élégant. Autoritaire. Dominant. Elle se doute que ce genre de remarques, elle en aura à la pelle. Et elle encaissera. Elle a déjà encaissé bien pire quelques mois auparavant. Elle détache ses pensées de son passé et revient au présent pour écouter les recommandations de sa chef avant de rentrer chez elle. Elle doit se préparer pour son premier service.

Luna marche d'un pas décidé dans la rue. Elle est rentrée chez elle pour se changer juste après les dernières explications et recommandations de Giulia. Elle a mis un haut fluide foncé, agrémenté d'un sautoir fin et doré qui passe entre ses seins le long de son décolleté. Elle s'est légèrement plus maquillée et a enfilé un jean slim noir qui lui va parfaitement bien. On lui a toujours dit qu'il lui fait de superbes jambes. Elle a fini son relooking par quelques gouttes de ce parfum qu'elle ne gardait que pour de grandes occasions. Cela fait un moment à présent qu'elle ne l'a plus utilisé. Depuis ce fameux soir où elle a tout découvert et où beaucoup de choses se sont effondrées dans son petit monde. Mais elle n'y pense pas pour le moment. Elle se concentre sur le fait que ce soir, elle retourne travailler dans cet endroit magnifique dans lequel elle adorerait tout prendre en photo. Sa passion ne la quitte jamais vraiment. Si elle le pouvait, elle prendrait absolument tout en photo, tout le temps. Mais surtout, elle a grandement envie de prendre Romeo en photo dans son environnement, dans ce qu'il a créé. Elle est sûre et certaine que son charisme hypnotique rendrait parfaitement bien sur papier glacé. Mais pour le moment, elle ne lui posera certainement pas la question. Elle sait juste qu'elle s'est mis ce parfum si spécial juste parce-qu'elle va recroiser cet homme ce soir. Elle ne sait d'ailleurs pas vraiment pourquoi. Sans doute pour se montrer à la hauteur de Giulia.

Le service commence et autant dire que c'est le rush. Elle sait que ce lieu est prisé mais ne pensait pas à ce point. Il y a énormément de monde mais elle n'a pas encore ses marques. Elle essaye de se débrouiller seule pour ne pas déranger constamment Giulia mais c'est difficile et elle perd énormément de temps. Elle ne perd pourtant pas espoir et retient tout ce qu'on lui dit, tout ce qu'on lui demande. Elle sait que le patron est là à les observer. Comment ne pas le repérer avec sa veste blanche ? On ne voit que lui. Il les rejoint. Il les engueule. Mais ça ne l'atteint pas.« Je n'abandonne jamais. Si vous voulez que je le fasse vous aurez à me virer ! » Elle lui fait un clin d'oeil et s'occupe de la commande de deux hommes qui la sifflent pour être servis. Elle leur serre leurs verres puis file derrière pour revenir avec les bras chargés de plusieurs bouteilles de rhum. Elle en pose une devant Romeo. « C'est que monsieur désire. » Elle sourit alors que Giulia est à moitié amusée comme à moitié apeurée de la future réaction de son boss. Luna ne reste pas assez longtemps pour entendre quoi que ce soit et enchaîne. Un homme lui donne un pourboire qu'elle glisse dans son décolleté en souriant toujours poliment. Ce pourboire elle le mettra dans le pot commun. Les serveurs mettent tous leurs pourboires dedans et se les divisent ensuite pour qu'il n'y ait pas de privilégiés. La musique résonne. Il y a toujours autant de monde mais Luna en apprend toujours plus. Elle demande dès qu'elle le peut et parvient même à aider Giulia deux fois. Elle apprend vite et le montre.

Les gens sont en grande partie servis et il y a un peu moins de monde au bar. Giulia indiqué à Luna qu'elle peut partir prendre sa première pause. La jeune femme sert un dernier client puis se faufile à l'arrière. Elle passe rapidement par les vestiaires pour récupérer son téléphone et ses clopes puis sort à l'arrière. Elle respire un grand coup. L'air frais de la nuit contraste avec sa peau chaude et luisant d'une fine pellicule de sueur. On peut la voir légèrement luisant au niveau de sa poitrine. Elle allumé le fin bâtonnet blanc de poison entre ses lèvres et tire lentement dessus. Elle expiré la fumée et ferme les yeux. Le rythme est soutenu. Elle sait que certains jours seront plus durs que d'autres mais elle tiendra bon. Elle aime déjà cet endroit. Elle le trouve rassurant. Elle veut donc apprendre à encore mieux le connaître. Elle tire une nouvelle taffe et compose tout naturellement le numéro de chez elle. De son ancien chez elle. Sa mère décroche et Luna lui raconte la nouveauté dans sa vie. « Tu verrais le bar il est sublime. Il y a un monde fou ! Il faudra que tu viennes y faire un tour oui. Le patron est cool il m'a donné ma chance. Je n'ai pas envie de le décevoir alors je me donne à fond. J'espère qu'il le verra. » Elle sourit en écoutant sa mère et continue de fumer sa cigarette. Elle bouge faiblement ses hanches en entendant la musique étouffée provenant de l'intérieur. L'air frais lui fait énormément de bien. Elle lève les yeux et observe la lune qui est si belle cette nuit. Son prénom... Sa mère lui a avoué l'avoir appelée ainsi car la nuit de sa naissance la lune était vraiment la plus magnifique. Elle lui a même raconté pour la faire sourire plus jeune que, comme la lune, même en pleine nuit elle brille et tout le monde la voit.« Je ne vais pas tarder à y retourner. Non ça ira avec mes cours ne t'inquiète pas. Je me débrouille. Oui. Je t'aime. Au revoir. » Elle raccrocha et son sourire se fit plus grand. Ainsi que sa motivation. Il lui restait encore quelques minutes et elle en profitait au maximum pour se rafraîchir et calmer son coeur qui n'a pas arrêté de s'affoler depuis son arrivée ce soir.

Les femmes de caractère ont toujours su le séduire. & pourtant lorsqu'il entend les provocations de Luna, ses entrailles se resserrent & se tordent douloureusement, rageusement, dans le bas de son ventre. Son regard bleu azur se plante dans le sien & lui intime fermement (bien que silencieusement) de ne plus jamais s'adresser à lui de la sorte, de ne plus jamais oser lui répondre avec cette arrogance évidente & mal venue. Quelle idée de jouer avec quelqu'un comme Romeo durant une putain de période d'essai ? & il essaye de ne pas s'abreuver de son parfum, de ne pas laisser ses prunelles caresser la longueur de ses jambes fuselées, de ne pas s'imaginer entre ses reins, de ne pas observer son visage tant & si bien qu'il pourrait mémoriser ses traits dans les moindres détails. Elle se détourne & il en fait de même.
Les clients deviennent moins nombreux en fin de soirée. Les conversations se muent en murmures, les cachotteries se conjuguent aux pluriels, les rendez-vous professionnels noircissent les pages des carnets de notes sur mobile ou sur papier. & Romeo constate que cette soirée ne s'est pas si mal passée qu'il avait pu le penser en arrivant ici. Il faut dire que sa soirée avait connu des zones d'ombres plutôt gênantes. Sa femme lui a passé un coup de téléphone, le sermonnant une nouvelle fois au sujet des termes du contrat de mariage & des désaccords émanant de la demande de divorce, le menaçant par conséquent de ne jamais lui confier la garde de son fils & de lui prendre tout ce qu'elle a pu lui donner lorsqu'elle l'a épousé. Gabriella a été la femme de sa vie quand toutes les autres n'ont été que de petits instants de chaleur sans intérêt & sans importance. Il l'a aimée. Profondément. Aujourd'hui, il n'éprouve aucune difficulté à la mettre au premier rang des emmerdeuses & des personnes à décapiter.

En voulant sortir de l'immense bâtisse, Romeo sent cette main froide se refermer autour de son poignet. Son regard effleure les phalanges recouvertes d'une dizaines de bagues dix-huit carats, remonte le long de l'avant-bras, caresse l'épaule dénudée & trouve le visage d'une jeune femme visiblement sous l'emprise de l'alcool. Elle avoue ne vouloir qu'une petite parenthèse, elle promet que rien ni personne n'aura vent de cette éventuelle aventure, qu'elle-même tient à préserver son mari ainsi que ses deux enfants déjà grands. Romeo fronce les sourcils, amenant sa main non entravée jusqu'à la sienne afin de l'enjoindre à relâcher la pression sans discuter & surtout sans faire de scandale ridicule. Il n'a pas besoin de parler ; son attitude est suffisante. Dans ce gigantesque palace, Visentini ne cherche pas à se cacher du regard des autres. & surtout, il ne se sert pas de son bar pour culbuter des gonzesses en mal d'amour.
La gonzesse, vexée, rejoint ses amis. & Romeo quitte enfin la salle.

L'air extérieur mord doucement sa chair, l'incitant donc à rabattre les pans de sa veste hors de prix contre son torse. & il entend cette voix rythmée & entrecoupée par des mots d'amour, des mots gorgés de tendresse. & il se demande ; Luna s'adresse-t-elle à un petit-ami ? À un membre de sa famille ? À sa meilleure amie ? Les yeux baissés vers le paquet de clopes détenu dans sa paume, Romeo se contente d'en extraire une & de la coincer entre ses dents. Il fait crisser ensuite la roulette de son briquet & voit jaillir la flamme qui danse aussitôt dans le reflet de ses yeux océans.

« Je ne suis pas quelqu'un de "cool", Mademoiselle Fortini. Aussi, je préfère vous prévenir que la prochaine fois que vous prenez un malin plaisir à me répondre avec arrogance devant les clients, c'est à coup de pieds dans le derrière que je vous enverrais vers la sortie. Suis-je assez clair ? » lance-t-il en avalant la distance entre eux.

Le dos bien droit, seuls ses yeux se baissent, dardant sur elle un regard intense & inquisiteur. Quiconque croise son regard a l'impression d'être transpercé jusqu'à l'âme - & c'est bien là le but de Romeo. Tout dans sa posture assurée montre qu'il sait ce qu'il veut, qu'il pense ce qu'il dit & qu'il sait également ce qu'il fait. Luna doit comprendre que son patron n'est pas l'homme facilement manipulable avec lequel il est aisé de tisser quelques liens d'amitié - ou peu importe ce qui s'en rapproche. & maintenant ? Que décidera-t-elle ? D'après elle, quelle attitude est la plus impolie ? Garder ses yeux dans les siens ? Baisser le regard & ainsi montrer sa soumission ? Romeo sait qu'elle n'est pas de ce genre là, & c'est là son erreur. Luna est encore la chienne mal dressée, trop fougueuse, trop jeune, trop tout.
Ses prunelles sautillent de ses lèvres à son décolleté jusqu'à ce sautoir sans valeur mais incroyablement bien choisi. Luna est encore plus belle que tout à l'heure ; il ne pensait même pas ça possible.

« N'abusez pas trop de sarcasmes, commence-t-il avant de tirer une longue bouffée de poison. Maintenant que les choses sont dites, est-ce que ça va ? C'est le moment de me faire part de ce qui vous passe par la tête, nous n'allons pas nous voir avant la semaine prochaine. »

Romeo l'a sans doute déjà stipulé un peu plus tôt dans la journée ; il ne passe pas chacune de ses soirées au sein du bar. Giulia est responsable des lieux. Adriano est également très présent. D'autres arriveront ensuite. & ça sera à eux, tous ensemble, de mener la barque pendant que lui tentera vainement de se sortir de l'océan agité par les vagues de son divorce.

Son regard bleu acier la transperce de toute part mais elle ne faiblit pas. Elle ne veut pas faiblir devant cet homme même s'il est son patron. Luna a juste fait ce qu'il a demandé en ramenant les bouteilles de rhum et l'a averti qu'elle n'abandonnerait pas. Il n'a juste pas l'habitude qu'on lui dise de telles choses. Et à vrai dire elle s'en fiche. Ce soir elle a vu de quoi il était capable dans sa façon de parler aux employés. Elle n'a pas forcément aimé ça même en gardant son sourire pour chaque client. Alors ce petit moment au téléphone avec sa mère lui fait du bien et lui donne un peu d'oxygène dans cette soirée étouffante. Elle tire longuement sur sa cigarette et sursaute en entendant son patron. Elle hausse un sourcil et comprit qu'il avait entendu sa conversation téléphonique. Donc elle n'a même pas le droit à 2 minutes d'intimité ? Apparemment, non. Une immense envie de lever les yeux au ciel se présent mais elle se retient. Il risquerait d'encore plus mal le prendre. Sa fierté en a pris un coup et il vient remettre les pendules à l'heure pour montrer qui est le chef. Parfait. Qu'il le fasse. Ça lui passe au-dessus mais elle n'en montre rien. Elle garde ses yeux dans les siens un instant et détourne le regard tout en continuant de fumer. Qu'il pense avoir gagné, elle est là pour gagner de l'argent et non pour se faire des amis.

La jeune femme jette un rapide coup d'oeil et attrape le regard de Romeo qui traîne sur dln décolleté. Et en plus il se permet de la reluquer. Elle a bien fait de mettre ce haut finalement. A croire que ça pourrait le calmer un minimum. Elle tire une taffe et l'expire longuement tout en le fixant. Elle fait mine de réfléchir mais en vérité elle le fait juste attendre. Elle veut le voir attendre ne serait-ce que quelques secondes. « Ça va. Le rythme est effréné et j'ai encore des choses à apprendre puisque je n'ai pas d'expérience dans le domaine comme vous le savez. » Qu'il ne s'en prenne donc pas autant à elle alors qu'elle est aussi là pour apprendre.« Mais je ne lâcherai rien car je veux travailler ici. » Elle le fixe longuement et il peut voir toute sa détermination. Elle ne lâchera pas ce job sauf s'il la vitre. Elle fera donc ses preuves à Giulia qui transmettra sans aucun doute ce qu'il en est à Romeo. Elle fera ses preuves les soirs suivants et deviendra l'une de ses meilleures serveuses. Elle veut le marquer. Elle veut lui montrer de quoi elle est capable. Elle veut qu'il se souvienne d'elle. Cet homme est comme un défi pour elle. Elle n'en a encore jamais rencontré des comme lui.

« Et pour finir... » Elle tire une dernière fois sur sa clope et écrase le mégot contre le mur avec ses doigts fins puis le jette dans l'une des poubelles à côté. « Moi je vous trouve cool donc si j'ai envie de le dire à quelqu'un j'ai le droit. Même si vous dites ne pas l'être et malgré votre caractère. » Elle ne lui fait pas la leçon. Elle lui explique juste que dans sa vie privée il ne l'a contrôlera pas. Elle peut encore dire ce qu'elle veut à qui elle veut même si cela le concerne à partir du moment où ça sort du contexte professionnel. « Il faut apprécier les compliments quand on vous en fait Monsieur Visentini. Au passage j'adore votre veste. Elle est magnifique et vous va à merveille. » Elle sourit tout en restant toujours contre le mur. Elle n'est en rien insolente elle est juste sincère. Elle l'a toujours été et cela ne changera pas. Peu importe qui se trouve devant elle. Elle se lèche doucement la lèvre tout en le fixant avant de se la mordiller faiblement comme à chaque fois qu'elle est légèrement nerveuse. Cet homme la rend nerveuse même si elle reste calme devant lui. Elle ne perdra jamais son sang froid devant elle. Enfin, normalement.« Et mes décolletés sont réservés aux clients pour les attirer à m'acheter plus de consommations. Je ne pense pas que ça soit très bien vu que vous reluquiez votre employée. » Elle ne compte pas Giulia dans le lot car elle ne sait pas s'il le fait et ne veut pas non plus aller trop. Par contre, elle sait que là elle risque fortement d'avoir une remarque bien cinglante de sa part. Pourtant, elle a juste mis les choses au clair entre eux. Elle reste contre le mur et regarde l'heure. Il lui reste encore 5 minutes de pause.

Depuis toutes ces années où les cauchemars animent ses nuits, où les coups de feu sont la seule mélodie qu'il n'oubliera jamais, où les pleurs deviennent le seul moyen d'expression, & où la vie n'a plus vraiment de sens, Romeo est devenu une foutue bombe à retardements. Évidemment, Luna l'ignore. Comment pourrait-elle le savoir ? Comment pourrait-elle se douter une seule seconde qu'elle puisse être l'employée d'un type qui a souffert pendant des années & qui, aujourd'hui, se trouve être le pantin de sa femme ? Comment pourrait-elle se douter qu'il est incapable d'être un type bien, à tel point qu'il refuse parfois (souvent) de s'occuper de son propre fils ? Comment pourrait-elle se douter qu'à trop jouer avec le jeu, elle risque de se brûler ? Romeo ne plaisante pas. Il se doute qu'elle essaye de s'imposer, & ça ne lui déplaît pas... du moment qu'elle finit par se laisser dompter & qu'elle cesse ses provocations plus proches de l'arrogance que d'une quelconque manifestation d'assurance.
Y a trop de bordel dans sa tête lorsqu'il observe la petite & lorsqu'il écoute ses mots gorgés d'insolence. Y a trop de rage dans ses veines, trop de fureur au bout de ses doigts. Il pourrait faire des dégâts, il pourrait la broyer contre le mur - à défaut de pouvoir la culbuter, il pourrait la tuer. Mais il secoue la tête & recule d'un pas.
Les lèvres roses épousent le cul de sa clope & aspire une bouffée salvatrice. Le poison ondule jusqu'à ses poumons puis ressort de sa bouche jusqu'à s'étioler dans les airs, disparaissant ensuite dans la nuit noire. Romeo plonge alors son regard clair dans les yeux de la gamine mal élevée, & un rire brise le silence nouvellement installé.

« J'accepte les compliments, Mademoiselle. Merci, d'ailleurs. Je ne voudrais simplement pas que vous puissiez penser que je suis quelqu'un de cool. Je suis intransigeant, exigeant, & très indélicat. Dans peu de temps, vous me détesterez & me trouverez sans doute injuste. »

Il a juste tenu à rétablir la vérité. Romeo n'est pas l'homme cool qu'elle s'imagine sous prétexte qu'il a accepté de lui donner sa chance. Elle ou une autre, ça aurait été la même chose. Il a sélectionné un seul CV, a perdu quelques minutes en entretien & n'a juste pas eu la patience d'en programmer d'autres. Luna a simplement été un joli hasard. Un hasard qui commence sérieusement à l'emmener vers une déduction selon laquelle la poisse le guette. Quelle emmerdeuse, bon sang. Donc comme ça, Mademoiselle enfile un décolleté uniquement pour le regard des clients ? & comment compte-t-elle empêcher les autres de regarder ? Romeo lève les yeux, riant une nouvelle fois de manière discrète & distingué. Il ne s'agit pas de s'esclaffer comme une baleine lorsqu'on est le propriétaire d'un bar à plusieurs millions d'euros.

« Si vous saviez ce que je fais à mes employés sans que jamais personne ne s'en soucie, Mademoiselle, commence-t-il en terminant sa clope. Dans ce cas, vous n'aurez qu'à me servir un verre, ça fera de moi votre client. »

Un clin d’œil s'ajoute à sa plaisanterie. Romeo aurait pu aller plus loin, lui assurer qu'il ne matait pas mais se demandait simplement où étaient passés ses seins ; mais ça aurait été de la méchanceté gratuite. D'autant plus que le corps de Luna est particulièrement sublime & qu'elle ne manque visiblement de rien. Le mégot abandonné au sol, Romeo l'écrase d'un coup de talon puis enfonce ses mains dans les poches de son pantalon noir. Une nouvelle fois, le bleu glacial de ses iris se plantent dans les siens, comme deux morceaux de verre tranchants, & il soutient son regard l'espace de quelques secondes durant lesquelles seule la musique étouffée résonne sourdement & vibre contre les murs de pierre.

« Plus sérieusement, je ne voulais pas vous mettre mal à l'aise, vous ne savez peut-être pas comment sont les hommes mais ils sont ainsi ; sans gêne & toujours les yeux sur les jolies choses. Profitez bien de vos dernière minutes de pause, Mademoiselle Fortini. N'hésitez pas à vous couvrir la prochaine fois, je crois savoir que vous avez froid. »

Tu pointes, ma chérie.

La jeune femme le toise du regard. En quoi n'a-t-elle pas le droit de penser ce qu'elle veut ? Il n'est pas dans sa tête. Il ne le sera jamais. Depuis cette histoire qu'elle fuit, elle n'est qu'une huître complètement hermétique à tout sentiment extérieur. Elle l'écoute mais ce qu'il dit lui passe clairement au-dessus. Elle sait parfaitement qu'il n'est pas cool. Elle en a eu la preuve ce soir ou simplement dans l'après-midi dans sa façon de parler à Giulia. Ce mec est un parfait connard. Et elle n'a eu là que les prémices de ce qu'il peut réellement faire. Mais autant rassurer sa mère en lui disant qu'il est sympa. Elle ne veut pas que sa mère lui dise d'immédiatement quitter ce boulot pour l'aider à payer son loyer. Non. Elle a trouvé ce job et le garde et si jamais cela devient trop insupportable - ce qui arrivera sans aucun doute un jour - elle cherchera ailleurs et le quitter. Elle veut juste lui montrer qu'elle a encore le droit de dire ce qu'elle veut. « Très bien Monsieur Visentini. » Au moins, il connait ses qualificatifs. Tant mieux. Mais elle ne relève pas et reste la gentille petite serveuse bien obéissante. Elle ne doit pas oublier qu'elle n'est qu'à l'essai et qu'un mot de sa part la mettrait à la porte. Elle reste appuyée contre le mur et regarde un instant le ciel noir parsemé d'étoiles et de la lune l'éclairant plus que le lampadaire un peu plus loin rendant sa peau encore plus pâle qu'elle ne l'est déjà. Elle le voit lever les yeux au ciel mais cela ne l'atteint pas. A vrai dire, plus grand chose ne l'atteint réellement aujourd'hui. Sa carapace est là, bel et bien là. Elle est plus épaisse que jamais. Romeo pourrait lui dire quelque-chose de méchant qu'elle ne le prendrait même pas mal. « D'accord monsieur et vous voulez que je vous serve quoi ? » Elle penche légèrement la tête sur le côté et l'observe longuement. « Je vous amène votre verre dans votre bureau ou autre part ? » Elle n'est pas insolente. Elle pose très sérieusement sa question vu ce qu'il vient de lui dire.

Elle ne joue plus. Elle est fatiguée et doit garder le reste de son énergie pour terminer son service et sourire aux clients ainsi que répondre à leurs exigences. Elle sait que lui plaisante vu son clin d’œil mais elle fera ce qu'il souhaite. Elle sent à nouveau ses prunelles sonder son âme mais elle se détourne. Elle ne veut plus qu'il la regarde surtout quand il évoque le sujet des hommes. Si, elle les connait. Peut-être trop bien vu ce qu'elle a vécu. Elle a été trahie, trompée, humiliée. Elle n'a pas besoin d'avoir un résumé de ce que peuvent être cette gente. Elle sourit simplement en coin en entendant son qualificatif à son propos. Jolies choses... Encore une fois, elle est jolie, elle n'est pas belle. Et elle sait que cela sera toujours ainsi pour elle. de toute façon on le lui avait déjà dit. « Tu n'es pas belle Luna. Tu es jolie à la limite mais tu n'as rien d'exceptionnel. » Et elle y croyait. Elle se mordille la lèvre à sa dernière remarque et ne s'en offusque pas. Cela se voit et alors ? Elle n'est qu'une femme et son corps a certaines réactions. « Je prendrai ma veste la prochaine c'est promis. Et merci. » Elle tourne le visage dans sa direction et le fixe en souriant. Son sourire n'est pas faux mais franc. Elle prend sa remarque pour un vrai conseil. Elle ne le quitte pas des yeux, attendant sagement qu'il décide de partir de lui-même ou que ça soit son moment de reprendre le boulot. Elle a fait exprès de ne pas répondre au sujet des hommes. Elle ne veut pas qu'il voit cette faille qu'elle vit à cause des hommes. A cause d'un homme. Son ex. Elle ne veut pas que Romeo le voit sur elle.

Elle est ici pour se reconstruire alors tout va pour le mieux à Vérone. Ici, tout va bien. Et tout ira bien dans ce bar également. Elle fera tout pour et peu importe si Romeo est insupportable. Elle le supportera. Ce n'est qu'un patron avec un caractère de chien. Elle y survivra et apprendra à se taire pour lui faire plaisir et qu'il la laisse tranquille pendant ses heures de boulot. Finalement, elle se décolle du mur et se rapproche de lui. « Vous le voulez toujours ce verre ? » Elle sourit légèrement.« Je vous le prépare tout de suite et vous l'apporte où vous le souhaitez. » Elle ne joue toujours pas. Elle lui montre juste qu'elle est prête à lui obéir. Elle est assez proche de lui pour que ses doigts frôlent sa veste blanche, la bougeant légèrement lorsqu'elle remonte ses mains pour repousser en arrière les quelques cheveux qui ont osé s'échapper de sa coiffure. Elle veut qu'elle reste impeccable jusqu'à la fin de son service. La proximité ne lui a jamais fait peur. Ce n'est pas un problème pour elle. « Boisson forte ou plus légère ? Cocktail ? Il me reste encore trois minutes de pause je peux vous la préparer. » Et comme ça il pourra continuer à la reluquer comme bon lui semble en tant que client. « Mais j'espère avoir un bon pourboire. » Elle rit faiblement et s'écarte enfin. Elle plaisante bien entendu. Elle ne se voit pas réclamer un pourboire pour ce qu'elle va lui servir.

La façon dont Luna s'écrase & se soumet à ses moindres désirs appuie son hypothèse selon laquelle les femmes sont des êtres facilement manipulables. Romeo part dans la nébuleuse de ses souvenirs, là où les filles les plus jeunes acceptaient tout de lui, là où ses conquêtes auraient tout donné pour entendre ses mots d'amour & pour ressentir ses caresses autrement que pendant les relations charnelles, là où sa femme a mis de côté toutes ses convictions pour épouser cet homme dont le nom de famille n'avait aucune renommée. & il n'est pas fier d'être ainsi, d'être cet être intransigeant, d'aimer réduire les autres à l'état de marionnettes, d'apprécier être celui que rien ni personne n'ose défier & à qui personne ne résiste.

Son regard bleu océan la transcende, la perce à jour, la met à nue. Elle obéit, petite chienne si facilement dressée, si docile & si obéissante. C'est comme si elle était prête à foutre ses entrailles dans ses mains afin que Romeo puisse prendre possession de tout son corps & de toute son âme d'enfant. & lui, il aimerait bien la débarrasser de sa carapace & comprendre pourquoi elle semble prendre un malin plaisir à le provoquer, à le rendre fou, à se montrer des plus insolente. À partir de maintenant, Luna devra seulement apprendre à vivre dans les entraves serrées & parfois injustes de l'excellence & du luxe. Même si les interdis l'excitent, même si l'envie de dévier de trajectoire prend parfois le dessus sur le reste & même si tester les limites peut parfois devenir un jeu bien plus excitant que tout le reste. Romeo ne tolérera aucun écart.

« Surprenez-moi. Servez-moi ce que vous voulez, ce que je vous inspire. Je viendrai directement au bar, vous n'avez pas à vous déplacer. »

Malgré tout ce qu'il a pu dire ou faire, Romeo refuse que ses serveuses & serveurs deviennent à la merci de son caractère antipathique ou des clients souvent hautains dont les limites du respect sont vraiment très floues. Il se souvient de Penelope, prédécesseur de Luna, petit être brisé par la vie, par des parents absents, par des études qu'elle n'a jamais su payer. Romeo l'a aidé, a financé ses premières années. Parce qu'il a un grand cœur malgré les apparences. Mais Penelope n'a pas supporté la pression infligée par son patron durant ses heures de service, ni la lourdeur de certains clients qui ont eu du mal à dissocier le mot "serveuse" du mot "escorte". À de nombreuses reprises, il l'a retrouvée en train de pleurer dans les toilettes, les larmes traçant de larges sillons noirs sur ses joues pâles. Il a du s'en séparer, lui faire promettre de travailler dur pour ne plus jamais avoir à servir les riches qui se croient tout permis. Elle a accepté, & il ne l'a plus jamais revu.
Luna ne doit décidément plus jamais envisager de répondre à ses moindres désirs. Elle doit faire son boulot, pas lui cirer les pompes.

Tandis qu'il se recule & s'approche de la porte menant à l'intérieur du bar, Romeo avorte son geste & se tourne vers la jolie blonde.

« Je ne vous paye pas pour que vous soyez à mon service, Mademoiselle, vous n'êtes pas ma bonne. J'ai certains défauts, mais je respecte profondément les femmes. Vous avez bien fait de me faire la remarque, ça ne se reproduira plus. & n'hésitez pas à me faire savoir, si d'autres hommes se permettent des choses que vous ne voulez pas au sein de mon bar. »

Sans sourire & sans plus de cérémonie, Romeo retourne à l'intérieur. La musique l'agresse déjà mais il ne s'en formalise pas. Voyant que Giulia gère plutôt bien & qu'Adriano semble être à l'aise également, il prend le temps de s'asseoir au comptoir & d'observer la ballet de clients qui s'agitent.

Romeo la laisse donc décider de ce qu'elle pourrait lui servir. Elle en est étonnée. Elle le voit apprécier une boisson plutôt forte mais classe et élégante à la fois. Elle ne connaît pas ses goûts et peut complètement se planter. Alors quand par la suite, il lui dit qu'elle n'est pas à son service elle ne comprend pas. Cet homme ne sait clairement pas ce qu'il veut. Il est foutrement contradictoire et autant l'avouer, c'est très chiant. Il est impossible à cerner et Luna n'aime pas ça. Mais elle ne cherchera pas plus loin. Les hommes, elle s'en méfie énormément à présent. Elle ne veut même plus penser à une quelconque relation. Elle se contentera donc de bosser et éviter Romeo au maximum. Elle le regarde rentrer dans le bar et n'ajoute rien. Ce mec c'est vraiment une prise de tête à lui tout seul. Et elle n'en a vraiment pas besoin. Elle ne veut pas de ça dans sa vie. Donc elle profite de ses derniers instants en pause avant de retourner bosser sans se préoccuper de son patron. Elle ferait tout simplement tout pour prouver qu'elle mérite ce job.

Une semaine et demi est passée. Luna a réussi à garder un bon rythme malgré ses heures de cours. Elle réussit à combiner les deux malgré une certaine fatigue mais elle a de l'énergie à revendre et sourit toujours à ses clients. Elle espère que Romeo remarque qu'elle s'est améliorée. Aujourd'hui, les automatismes sont là et même Giulia lui dit qu'elle s'est énormément améliorée. Luna en est contente et continue à prouver à son boss qu'il a bien fait de la choisir. Certains habitués commencent même à ne venir que vers elle et l'appeler par son prénom. Elle est encore plus contente de réussir à fidéliser certains clients.

Ce soir il y a énormément de monde. Un peu comme chaque soir mais ce soir elle a un peu la pression. La jolie blonde porte une robe noire mettant ses légères formes en valeur. Elle n'a pas d'immense décolleté mais elle sait qu'elle peut attirer l'œil. Elle s'est habillée en circonstance car elle doit accueillir un client qui a réservé pour une soirée dans la fameuse salle. Les autres soirs, Giulia a tout géré mais cette fois, c'est elle. Elle veut réussir. Il faut qu'elle réussisse. Elle continue de servir certains clients et le stress la rend légèrement maladroite. Elle fait tomber deux verres qui se brisent et se dépêche d'aller chercher le balai pour tout ramasser. Une chance que Romeo ne soit pas encore arrivé. Puis Giulia lui annonce que son client est enfin arrivé. Elle trottine jusqu'au comptoir et l'accueille. Au moment où elle regarde sur le registre, un deuxième homme arrive et se présente pour la même réservation. Elle ne comprend pas. Elle a beau regarder elle ne sait pas comment elle a pu se planter. Son cœur bat à tout rompre. Romeo va la tuer. Elle le sait. Il va la virer pour la connerie qu'elle vient de faire. Giulia ne peut pas l'aider, elle est en train de servir des clients. Elle ne sait pas quoi faire. « Je... Je ne comprends pas. J'ai eu un appel pour demander confirmation de la soirée. » « Bien sûr que j'ai appelé ! Je l'ai fait il y a deux jours ! Cette réservation je l'ai faite il y a trois mois ! » Elle redemande les noms et constate que ce sont exactement les mêmes. Au téléphone, il s'est présenté par son nom et n'a pas donné son prénom.« J'exige de voir Romeo ! Il va m'entendre je n'ai jamais vu quelqu'un d'aussi incompétent ! » Et à croire que ce dernier l'a entendu, il arrive à ce moment-là. Luna panique. Elle n'a jamais été dans cet état. Elle vient de mettre en colère LE client qu'il ne fallait surtout pas mettre dans un tel état. Ce client est privilégié ici. C'est d'ailleurs pour cela qu'elle a mis un point d'honneur à ce que cette soirée se passe bien. Elle voit alors Romeo arriver et les deux hommes lui sautent presque dessus alors que les clients autour commencent à regarder ce qu'il se passe. Luna se sent mal. Son patron déteste quand quelque-chose cloche et que tout le monde regarde. « Tu l'as trouvé où sérieux ?! Elle n'est même pas foutue de gérer une réservation ! Je fais quoi avec mes invités moi maintenant ? Je vais partir ailleurs ! » Les yeux bleu de Romeo se posent sur elle et immédiatement, un frisson désagréable prend possession de son être. Il se rapproche et elle voit sa mâchoire se serrer. Ce n'est vraiment pas bon pour elle.« J'ai fait comme on me l'a expliqué. J'ai pris les réservations regardez la deuxième se passe la semaine prochaine mais... L'un d'eux m'a appelé et j'ai confirmé que c'était aujourd'hui alors que c'est celui de la semaine prochaine. Je suis désolée. Ils ont tous les deux le même nom et... Je suis désolée. » Elle ne sait absolument pas quoi faire car elle sait d'avance que sa période d'essai vient de se terminer prématurément.

« Écoute, Gabriella, j'ai vraiment pas le temps de discuter avec toi, j'ai un gros client ce soir. » souffle-t-il tandis qu'il habille son torse d'une chemise blanche.

Ses doigts saisissent une cravate de couloir sombre, qui tranchera avec la couleur presque irréelle de sa chemise. & il tente de la nouer avec habileté. De manière un peu lointaine, il entend sa femme qui soupire & qui, d'une démarche de reine, réduit la distance qui la sépare de son époux. Elle éloigne les mains de Romeo & se place devant lui, dardant son regard sombre dans le sien dans l'espoir de lui fouiller l'âme, dans l'espoir aussi de manipuler son cœur & d'y graver une nouvelle fois les lettres de son prénom. Elle n'est décidément pas prête à le laisser partir.

« Ton fils t'a réclamé. Il m'a dit que tu lui avais promis une sortie entre hommes, & tu l'as encore laissé tomber. Tu étais avec une fille, c'est ça ? »

Ses doigts habiles desserrent le noeud de la cravate jusqu'à ce que celle-ci ne soit plus qu'un vulgaire collier de tissu autour de son cou. & elle entreprend de le refaire avec plus de précision, réalisant un noeud sans défaut. Les effluves du parfum de Romeo la relient à des souvenirs brumeux dont la nostalgie voile légèrement ses prunelles. Elle a toujours aimé ce parfum, rendu plus fort lorsque leurs corps se faisaient l'amour, à tel point qu'elle en versait parfois quelques gouttes sur un mouchoir en satin pour se donner du courage quand l'absence de son mari se faisait trop dure. Ses mains glissent le long de son torse, & Gabriella se rapproche pour déposer un baiser humide contre sa joue.

« Je n'étais avec personne, dis-lui que j'ai juste beaucoup de travail & que ma promesse tient toujours. »

« Je ne lui dirai rien, Romeo. Tu vas perdre ton fils. Tu vas tout perdre. »

Les nerfs en fusion, le cœur à la renverse, Romeo est évidemment arrivé en retard à son bar.
Tout détruire, c'était le but de sa femme. & lui ne peut se résoudre à tout perdre, même si ça signifie repartir de zéro, sur de bonnes bases &, reconstruire les fondations de sa vie.
Mais comme si cela ne suffisait pas, les hurlements situés dans la salle principale achève de le rendre fou. Deux hommes s'approchent de lui, dont son client le plus important. Ce type est un italien pure souche dont sa réputation n'a d'égale que son incroyable richesse. Leur partenariat a toujours merveilleusement bien fonctionné, jusqu'à maintenant. Les mots violents franchissent la barrière de ses lèvres, attaquent & rabaissent la jeune Luna qui peine à se justifier. D'ailleurs quand celle-ci prend la parole, Romeo ne comprend pas un traître mot de ce qu'elle essaye de dire.

« Viens avec moi, je vais regarder ce qui s'est passé » dit-il à l'adresse de son gros client, ignorant la jeune serveuse afin de rejoindre l'arrière du comptoir.

Ses rétines s’abîment sur la réservation un peu brouillon. Le temps passe, les minutes s'égrènent, les deux hommes perdent leur sang-froid. Romeo doit réagir au plus vite s'il ne veut pas que l'ambiance & l'atmosphère continuent de se charger d'ondes négatives.

« Suivez-moi, nous allons trouver une solution. Luna, allez donc aider Giulia si c'est encore dans vos cordes. »

Après avoir détaché dans un cliquetis la corde torsadée donnant accès à l'escalier en colimaçon, Romeo invite les deux hommes à le suivre à l'étage. Durant plusieurs minutes, les trois hommes d'affaires tentent de trouver un terrain d'entente. Quoi qu'il arrive, Romeo perdra beaucoup d'argent ce soir, de l'argent qu'il ne récupérera jamais, de l'argent dont il n'a pas foncièrement besoin, mais qu'il aurait pu investir dans d'autres projets qui lui tiennent à cœur, de l'argent qu'il aurait pu déposer sur le compte en banque de son fils dans l'espoir de le voir faire de grandes études. Ça a le don de le rendre barge.

Dans un chuchotement feutré, les pas lourds annoncent le retour des hommes. L'un d'eux serre la main de Romeo & quitte les lieux. Le deuxième, le plus important, semble plus satisfait & tend son bras vers l'étage, invitant ainsi ses invités à se rendre dans la pièce réservée pour l'occasion. Romeo les accompagne, sans un regard pour Luna, sans un regard pour Giulia, sans un regard pour personne.
& lorsque la soirée se termine, lorsque le calme s'impose dans le bar & écrase chacun des employés, Romeo laisse entendre sa voix grave & rauque.

« Mademoiselle Fortini, dans mon bureau. »

Il la précède, l'impoli. La moquette rouge amortit la lourdeur de ses pas. Il déverrouille la porte & en fit pivoter le panneau qui s'ouvre sur le bureau parfaitement rangé, où virevoltent encore quelques particules de son parfum musqué.

« Est-ce que vous avez une seule foutue idée de l'erreur que vous venez de faire ? J'ai perdu des milliers dans cette histoire, & j'aurais vraiment de la chance si mes clients ne ternissent pas la réputation du bar. C'est si compliqué que ça de prendre correctement une putain de réservation ? De noter un nom, un prénom & un numéro de téléphone dans une case ?! À croire que la seule chose pour laquelle vous êtes suffisamment douée, c'est enfiler quelques tenues sexy pour attirer les clients & même là, mademoiselle fait sa prude lorsque les hommes s'autorisent un regard vers son décolleté. Croyez-moi, je n'ai pas besoin d'une fausse princesse ici. J'ai besoin de gens compétents & de toute évidence, vous ne l'êtes pas du tout, je connaissais votre manque d'expérience mais là, c'est au-delà de ce que je pouvais imaginer. Sortez d'ici. Prenez vos affaires. Vous serez payée pour votre période d'essai, & notre collaboration s'arrête ici. Fermez la porte derrière vous, vous laisserez la clé de votre vestiaire à Giulia. »

Ce soir, Romeo est à la fois le sauveur de Luna et à la fois son bourreau. Elle ne survivra pas dans ce bar à cause de cette soirée. A cause de cette petite erreur. A cause d'une connerie car les deux clients ont le même prénom. Ce foutu client ne pouvait pas donner son prénom en même temps ? Non, il a fallu qu'il ne donne que son nom en appelant un soir où elle était débordée. Elle avait confirmé et voilà que les deux clients se sont pointés ce soir. Elle tente une explication mais elle a peur. Et cette fois, elle n'arrive pas à le cacher. Le stress apparaît sur son visage. La peur se lit dans ses yeux. Elle bégaie. Elle sait qu'elle n'arrive pas à bien s'expliquer. Elle sait qu'elle l'énerve encore plus. Quand Romeo lui ordonne de partir travailler avec Giulia, elle ne répond rien et ne hoche même pas la tête. Elle se contente d'y aller sans un mot. Elle ne dit rien à l'autre serveuse qui a très bien compris ce qui est arrivé. Giulia connaît comme elle l'issue de cette bourde. Alors aucun mot n'est prononcé sauf pour répondre aux commandes des clients. Luna se force à sourire mais elle n'arrive pas à l'avoir aussi sincère qu'elle le souhaiterait. Elle répond à chaque exigence de ses clients et ne prend même pas sa pause. Elle ne fait que travailler pour ne pas réfléchir et ne pas penser à ce qu'il va se passer par la suite. C'est difficile. Elle s'est foirée. Elle a raté quelque-chose. Elle se déçoit.

Puis les hommes reviennent. Elle les voit passer et sait que ça va être son tour. Elle va y avoir le droit. Elle sert un autre verre et l'encaisse au moment où les mots de Romeo claquent dans l'air. Cette fois-ci, elle hoche la tête et le suit la tête légèrement baissée. Elle a honte de ce qu'elle a fait. Elle aurait tellement dû faire plus attention et se montrer plus rigoureuse. Elle déteste tellement se planter. C'est exactement la même chose lors de son stage. Si une photo est ratée, elle ne le supporte pas. Elle est très exigeante avec elle-même. Bien trop exigeante. Elle l'a toujours été. Depuis toute petite. Elle veut atteindre la perfection. Ce soir elle en était tellement loin. Elle ne sait même pas si elle va le dire à sa mère. Elle entre enfin dans ce bureau qui lui a donné sa chance. Ce soir il sera spectateur de son renvoi. Elle se prend ce parfum qu'elle adore en plein nez alors qu'il fait le contour du bureau pour s'y installer. Elle reste debout face à lui et relève enfin le visage pour croiser son regard. Elle n'est pas la seule à se décevoir. Elle le déçoit lui aussi. Elle voit qu'il pense avoir perdu son temps avec elle. Puis les mots de Romeo se font durs et froids. Alors elle n'est donc douée que pour bien s'habiller et attirer le client ? Et le voilà qui reparle encore du coup du décolleté. Elle ne baisse pas le regard et prend son engueulade en plein face. Et elle reste stoïque bien que la boule dans sa gorge grossit à mesure que les mots se font entendre. Et la sentence tombe. Elle est virée. Elle est incompétente. Elle ne fait pas l'affaire. A quoi bon tenter de sauver sa place ? Il est sûr de lui. Il a pris sa décision. « D'accord. » Sa voix montre à quel point elle est tout de même touchée par cette décision et ce qu'il vient de se passer. « Merci de m'avoir donné ma chance. » Elle baisse les yeux et se retourne pour quitter le bureau et refermer la porte derrière elle.

La jeune femme passe par son casier et récupère ses affaires comme elle l'a fait chaque soir depuis son arrivée ici. Elle récupère son sac et sa veste puis ferme son casier, un goût amer dans la bouche. Elle passe par le comptoir et sourit faiblement à Giulia. « Merci pour ce que tu m'as appris. C'était vraiment bien de bosser avec toi. » Elle lui donne la clé et quitte finalement le bar. Elle a les yeux brillants mais ne pleure pas. Elle refuse de pleurer. Il y a plus grave dans la vie. Beaucoup plus grave. Elle trouvera un autre boulot. Elle n'a plus que ça à faire à présent si elle veut vraiment s'en sortir seule. Elle marche lentement jusqu'à chez elle d'un pas trainant et lourd. Elle soupire. Elle finit par rentrer chez elle et se change. Elle prend une longue douche bien chaude et file dans son lit. Vite, qu'elle s'endorme pour oublier cette expérience. Qu'elle s'endorme pour oublier le regard glacial de Romeo. Qu'elle s'endorme pour oublier ces rires et ces moqueries qui la hantent encore parfois dans ses rêves. Qu'elle s'endorme pour ne plus penser et se lever avec un meilleur entrain pour trouver un nouveau boulot. Peut-être que Romeo a raison, elle n'a pas les compétences pour ce job. Elle doit vite oublier ce boulot, ce lieu et surtout ce patron au caractère trop fort mais tellement hypnotique.

» Chacun écrit son histoire comme il l'entend, je choisis d'écrire la mienne sans point final
» Attirance. - Romeo
» Un peu d'aide ? - Romeo
» Photos & Confidences - Romeo
» Romeo + castle of glass