Avril 2015, Vérone
Tes doigts qui glissent une mèche de cheveux derrière ton oreille. Ton dos contre le mur de ta salle de bains. Des larmes qui coulent le long de tes joues. Du bonheur. A l’état pur. Ton sourire qui ne s’efface pas. Tu es submergée de joie. Ton coeur qui palpite. Trop vite. Un simple mot qui te met dans cet état-là. Positif. Juste ça. C’est tout ce que tu voulais. Tu as essayé de te convaincre que peu importe le résultat de ta prise de sang, tu ne serais pas déçue mais au fond tu attendais ce mot. Tu rêvais de le lire. Désespérément. Les différents tests que tu as fait il y a quelques jours t’ont donné de l’espoir. Mais tu ne pouvais pas te fier à ces tests issus de la pharmacie. Dix. Tu en as fait dix. Dans la même journée. Tu voulais t’assurer que ce ne soit pas des faux positifs. Mais ils ont tous affiché la même chose. Alors la dernière chose que tu devais faire était une prise de sang. Plus médical. Plus fiable. Les résultats, tu les tiens dans ta main. Tu ne peux plus reculer. C’est officiel. Positif. Positif. Tu es enceinte. Tu portes l’enfant d’Even. Tu sèches tes larmes et tu remets le papier dans l’enveloppe. Tu le glisses dans ton tiroir. Ton secret pour quelques heures. Bientôt il sera partagé. Avoué. Tu t’empêches d’envoyer un message tout de suite à Even. Tu en meurs d’envie. Tu veux lui dire. Cela fait quelques semaines que tu ne te sentais pas bien. Fièvre. Nausées. Mal de ventre. Vous ne vous êtes pas beaucoup vus. Tu t’en voulais de décliner ses invitations mais maintenant tu sais qu’il sera le plus heureux. Cet enfant vous le voulez. Tous les deux. Ensemble. Vous en avez parlé. Plusieurs fois. Sans gêne. Avec Even, tout se fait naturellement. Depuis six ans, maintenant. Tu avances, tu veux t’engager avec lui. Il est à toi. Tu sais que tu finiras ta vie avec lui. Cet enfant sera le début de votre vie à deux. Votre avenir. Scellé par ce bébé. Il te reste moins d’une heure pour te préparer. Tu te déshabilles puis tu te glisses sous ta douche. L’eau coule sur ton corps nu. Tu ne peux pas t’empêcher de passer ta main sur ton ventre. Un sourire niais. Deux mois et demi. Tu es enceinte de deux mois et demi. Ca ne se voit pas. Pas encore. Tu t’habilles. Une robe rouge qui s’arrête juste au dessus de tes genoux. Un décolleté pour mettre en avant le peu de formes que tu as. Le collier qu’Event t’a offert pour votre dernier anniversaire. Tu coiffes tes cheveux en un chignon coiffé-décoiffé. Tu prends ton temps. Tu fais un effort. Tes doigts s’attellent à la tâche, ils s’assurent qu’aucune mèche ne dépasse. Du mascara. Du rouge à lèvres. Discret. Tu ne mets pas longtemps à te maquiller, tu préfères en mettre le minimum. Tu entends des coups à ta porte. Tu cries un « Entre, c’est ouvert ! » alors que tu ne bouges pas de la salle de bains. Tu n’attends qu’une seule personne. Even. Tu entends ses pas s’approcher. La porte qui s’ouvre. Ses mains qui trouvent ta taille. Ses lèvres qui se posent dans ton cou, tendrement. « Tu es sublime. » Tu rougis. Tu ne te lasses pas de l’entendre te faire des compliments. Même après six ans. En un simple geste, tu te retournes. Tes bras autour de son cou. Il te serre contre lui. Tu te mets légèrement sur la pointe des pieds avant de déposer un baiser chaste sur ses lèvres. Tes doigts jouent avec ses cheveux dans sa nuque. « Tu es pas mal non plus. Je vais peut-être annuler mon rendez-vous de ce soir et m’enfuir avec toi. » Tu te mordilles la lèvre pour éviter de laisser entrevoir un sourire éclatant. Tu ne sais pas mentir. Encore moins à Even. Il sait très bien qu’il est le seul pour toi. « J’ai déjà annulé le mien pour te kidnapper. » Il te sort ça le plus sérieusement du monde. Si tu ne le connaissais pas mieux, tu pourrais le croire. Il se baisse avant de t’embrasser. Un baiser tendre, amoureux. Comme tu les aimes. Ceux qui ne veulent pas forcément dire qu’il est prêt à te déshabiller. Ceux qui te rappellent qu'il t’aime. Chaque jour, un peu plus. Tu pourrais passer toute la soirée dans ses bras à le laisser t’embrasser mais vous devez sortir. Ce soir c’est une soirée importante. Tu dois lui annoncer ta grossesse. Tu te détaches de lui, à regret. Tu pars dans ta chambre, tu prends ta veste et tu mets tes chaussures. Even t’attend à la porte, les yeux qui brillent. Ta main se fond dans la sienne. Une habitude. Un geste naturel. Tu n’y réfléchis même plus. Il t’ouvre la porte de sa voiture, tu souffles un « Merci » avant de t’engouffrer dans le véhicule. La main d’Even qui se pose sur ta cuisse à l’instant même où il lance le moteur. Tes doigts qui se lient aux siens. Tu as besoin d’être toujours en contact avec lui. Toujours. Même quand il est juste à côté de toi. Il te demande si tu vas mieux. Even, il s’inquiète. Sans arrêt. Pour tout le monde mais encore plus pour toi, ses soeurs et son frère. Evidemment qu’il allait te demander. Tu tournes le visage vers la fenêtre. Tes doigts serrent sa main. Tu réponds que oui, ça va beaucoup mieux. Tu évites son regard car tu veux garder la surprise encore un peu. Si tes yeux trouvent les siens, il verra très vite que tu lui caches quelque chose. Alors tu te contentes d’hocher la tête, tu restes évasive et tu changes de sujet, tu lui parles de sa journée et de ses patients. Tu l’écoutes. Sa voix rauque qui devient si douce quand il parle de ses patients. Even, il est passionné. Par son travail. Par tous les enfants dont il s’occupe. Tu te laisses bercer par sa voix, ses histoires. Ta main toujours sur la sienne. Les rues s’enchainent. Tu te laisses emmener sans vraiment faire attention au chemin. Puis d’un coup, plus rien. Un choc. Brusque. De ton côté. Un bruit. Un camion qui vous fonce dedans. Ton souffle est coupé. Ta tête qui se cogne violemment. Tu perds très vite connaissance. Tu perds Even. Sa main. Son contact. Sa présence. Ta dernière pensée est pour ton bébé. Tu pries pour qu’il ne lui arrive rien.

Avril 2016
Une caresse. Un toucher. De loin, très loin. Tu ne t’en rends pas compte immédiatement. C’est doux, tendre. Tu ne veux pas que ça s’arrête. Ca t’apaise. Ca te calme. Après cette journée chaotique tu as besoin de ce sentiment. C’est rassurant. Une simple main dans la tienne. Juste ça. Ce contact dont tu semblais avoir besoin depuis ton réveil, sans même le savoir. Tu as l’impression qu’il te manquait ça. Oui, un manque. Ton corps qui réclamait ce toucher en silence, qui l’attendait. Mais ta tête qui ne te l’a pas dit. Un désaccord de plus. Permanent depuis ce moment où tu as ouvert les yeux après un an de coma. Ta tête et ton corps qui ne semblent pas vouloir la même chose. Un combat. Des vents contraires. Dont tu es la spectatrice. Tu ne domines rien. Tu subis. Alors tu te laisses le droit de profiter de cet instant. Magique. Intime. Secret presque. Juste vous deux dans ta chambre d’hôpital. En pleine nuit. Cette intimité qui vous englobe. Juste toi et cet inconnu. Tu ne veux pas ouvrir les yeux. Tu as peur. Peur de ne pas te souvenir. Peur de te sentir idiote. Cette main dans la tienne te fait du bien mais une fois que tu te retrouveras face à lui, tu as peur que ta tête reprenne le dessus. Que ce sentiment d’apaisement disparaisse. Cette main masculine et protectrice. Ton corps la reconnait. Tu réagis sans même le vouloir. Tu frisonnes. Tu te détends.  Puis ça s’arrête. Cette caresse. Tout doucement. Tu prends le risque d’ouvrir les yeux. Timidement. La porte de ta chambre est légèrement ouverte, un filet de lumière du couloir qui éclaire l’intérieur. Ta main dans celle d’un inconnu. Endormi. Assoupi. Son visage contre le matelas. Tu restes statique quelques secondes. Tu le fixes. Tu attends un miracle, un souvenir. Mais rien. Rien qui te vient. Ta tête qui bloque. Tu as l’impression de te retrouver face à un mur, impossible à faire tomber. Timidement, ton autre main s’approche de sa tête. Tes doigts qui se glissent dans ses cheveux. Tu le réveilles avec douceur. Peut-être que voir son visage t’aidera, débloquera un souvenir. Tu le veux. Tu veux pouvoir mettre un souvenir sur ce que tu as ressenti quand il t’a touché. Tu en as besoin. Tu le sens légèrement bouger à ton contact. Un léger sourire qui trouve tes lèvres. Il ne semble pas contrarié que tu sois si tactile avec lui. Alors tu continues. Tes doigts dans ses cheveux. Une caresse. « Nora… » Sa voix rauque encore à moitié endormie. Ton corps qui frissonne. Il ne t’a pas appelé Eleonora. Mais Nora. Un surnom que seuls tes amis proches utilisent. Tu n’aimes pas ton prénom, digne des codes de la haute société que tes parents aiment tant. L’entendre murmurer ces deux syllabes te rassure. Ce n’est pas un inconnu. Impossible. Puis il relève la tête. Tes doigts qui se détachent de lui. Ton autre main toujours dans la sienne. Aucun de vous ne l’enlève. Tes yeux qui fixent son visage. Il est dans la pénombre mais tu distingues chaque parcelle de peau. Ses yeux qui te regardent avec tendresse. Sa bouche qui sourit légèrement. Tu attends. Mais rien. Ton coeur qui s’emballe mais ta tête est impassible. Tu ne sais pas. Tu n’arrives pas à mettre un prénom sur ce visage. Si doux, si protecteur. Rien ne te vient. Tu baisses les yeux, tu retires ta main de la sienne. D’un coup tu es mal à l’aise. Te sentir si sereine avec un homme qui est un inconnu pour toi. Tu t’en veux de ne pas te souvenir. Tu te sens idiote. Puis ses lèvres qui se posent sur ton front. Tu fermes les yeux, une larme coule le long de ta joue. En silence. A peine visible. Mais il le remarque. Il l’essuie tendrement. « Hé qu’est-ce qu’il y a ? Je suis là Nora. » Sa voix qui se veut rassurante. Il murmure. Il s’inquiète. Tu le sens dans son ton. Un son qui te parait si familier. Une voix qui te fait frissonner mais un prénom incapable à trouver. Tu ouvres les yeux mais tu les gardes baissés. Tu ne peux pas faire ça à son regard. Tu ne veux pas y voir la déception ou la colère. Tu sais que ça va arriver. « Je… je ne me souviens pas. » Ta voix si douce qui semble si fragile. Tu as envie de fuir. Loin de lui. Loin de toute cette tendresse que tu as l’impression de ne pas mériter. Tu ne sais pas qui il est. Pourtant tu aimes tout ce qu’il fait. Chacun de ses gestes. Tu te sens coupable. Coupable de profiter de cette douceur et de cette protection alors que tu l’as oublié. Parce-que s’il est là c’est qu’il fait partie de ta vie. Forcément. Il est important, tu le ressens mais tu ne sais pas dire en quoi. Quel impact il a eu dans ta vie. Si il était un ouragan qui a tout dévasté. Ou simplement une brise d’air frais. « Tu ne te souviens pas de quoi ? De l’accident ? » Sa voix toujours si rassurante. Tu viens de lui annoncer une bombe et pourtant il reste impassible. Ses doigts qui glissent une mèche de cheveux derrière ton oreille. Il sait que tu as eu un accident. Toi tu l’as appris cet après-midi. De la bouche de ta mère. Elle tremblait comme si elle revivait le moment où elle a su que tu étais à l’hôpital. Ta mère si dramatique. Toujours prête à se donner en spectacle. Elle avait de quoi faire avec l’histoire qui t’est arrivée. Toutes les informations, tu les as eues il y a quelques heures. Ta mère, ton père et les infirmières. Tu commences tout juste à recoller les morceaux. Alors tu relèves la tête. Tes yeux perlés de larmes qui menacent de glisser le long de tes joues. « C’est toi qui conduisait c’est ça ? » D’un coup les yeux du jeune homme s’assombrissent. Tu n’arrives pas trop à savoir ce que c’est. De la culpabilité, de la tristesse, de l’angoisse. Peut-être un mélange de tout ça. Alors avant même qu’il ne se justifie, tu te sens obligée d’ajouter une justification. « Mes parents m’ont dit qu’un Even conduisait ce soir-là. C’était toi ? » Tu n’oses pas élever la voix. Tu murmures. Tu essayes juste de comprendre. Savoir qui il est. Pourquoi il est là. Alors tu rassembles certains bouts du puzzle dans ta tête. Tes parents ont essayé de t’aider. Ils t’ont donné des bouts d’infos. Un accident de voiture. Il y a plus d’un an. Tu sais que tu ne conduisais pas. Ca a été ta première question. Immédiatement ton père a répondu que non, tu n’étais pas la fautive. Avec fermeté. D’un ton sec. Tout de suite, il a lâché le prénom d’Even. Tu as senti la colère. Ce prénom que crachait ton père. Le responsable de ton état. Celui qui t’a mené ici. Sur ce lit d’hôpital. Tes yeux sur son visage. Ton doigt qui frôle la mâchoire. Une cicatrice. Tu hésites à demander. Tu ne sais pas si tu as le droit. Peut-être que tu as perdu ce droit en oubliant qui il était. Il ne répond rien. Tu ne sais pas si tu l’as effrayé ou déçu. Il se contente juste de déposer un autre baiser sur ton front. Avec autant de tendresse que le premier. « Repose-toi Nora. » Puis il se lève. Il s’écarte de toi. Tes yeux ne le quittent pas. Tu as envie de le retenir. Tu ne veux pas qu’il s’en aille. Tu as bien trop de questions sans réponses. Il te trouble. Il est la clé à ton amnésie, tu le sens. Sans pouvoir l’expliquer. « Even, attends… » Ta voix se brise. Ce prénom qui s’échappe de tes lèvres, naturellement. Tellement naturellement. Il se retourne. L’espoir. L’espoir de t’entendre lui dire que tu te souviens de tout. Tu le vois dans ces yeux. Mais tu ne peux pas lui mentir. Tu aimerais pourtant. « Tu étais important pour moi avant l’accident n’est-ce pas ? » Tu le sens. Tu le sais. Mais tu veux l’entendre te le dire. Tu es quasiment sûre de voir ses yeux se perler de larmes. Tes mots qui le brisent. Doucement. « Repose-toi. Bonne nuit Nora. » Et il part. Il te laisse seule dans cette chambre qui te parait si vide d’un coup. Sa présence te réchauffait. C’est seulement maintenant que tu t’en aperçois. Tu essayes de te rallonger, te vider l’esprit mais impossible. Tu n’arrives pas. Dès que tu fermes tes yeux, tu revois son expression avant de partir. Son regard rempli de larmes. A cause de toi, tes mots. Cette question qui n’était pas si innocente. Il s’est brisé. Devant toi. Tu sors de ton lit et de ta chambre. Tu ne peux pas rester toute seule. Ca te travaille. Tu as besoin de parler. Alors tu te diriges vers une infirmière et tu lui décris Even. Du mieux que du peu. Ses yeux, ses cheveux, sa taille. Tu lui demandes si elle le connait. « C’était sans doute Even, il passe tous les soirs vous voir avant de rentrer chez lui. » Souffle coupé, ton coeur qui s’accélère. Le pire c’est que ça te surprend pas. Tu t’attendais à une réponse comme ça. Mais ça fait mal de l’entendre.