• Salvatore, c'est Sal, ou Salva. Ça a toujours été le cas, c'est pas aujourd'hui que ça changera. Salvatore, le « sauveur » dans la langue de Mussolini. Il n'est pas né avec la sempiternelle cuillère d'argent dans la bouche, il se perdait plutôt dans le chicot d'or de son père cheminot de Vérone. Maman, elle, s'occupait de la fratrie sans contredire les volontés du patriarche. Salva, c'est le second garçon, le petit frère qui veut se sortir du bourbier.

• En bossant comme un fou, il finit par décrocher un semblant de diplôme. C'est pas la passion qui lui manque, mais la volonté l'étouffe, celle de se frayer une place. Il sait qu'il est différent du reste de sa famille, qu'il préfère la compagnie des bouquins aux bagarres sous le soleil. Mais il est costaud. Et il veut aider son pays qu'il aime tant. Alors, c'est tout jeune qu'il postule pour s'engager dans l'armée, à la section de soins militaires, juste après sa première année en fac de médecine. Et contre toutes attentes, et devant la joie des parents, il est reçu.

• Il passe des années à s'occuper des soldats sur le terrain, à partir, à soigner quiconque croise le chemin de sa civière. Il se dédit corps et âme à cette vocation, si bien que son mariage capote. Père pourtant, mais divorcé d'un amour de cursus. Il s'en attriste, mais bien vite, le travail reprend ses droits et c'est toujours plus qu'il part, loin de tout, dans des terres plus arides et dures.

• C'est lors d'une bataille en particulier, impliquant des civils, qu'il scella son avenir. Confronté à l'horreur de trop, la mort d'enfants lors d'un bombardement. Seul médecin sur place, il se retrouva débordé, et fût incapable de les sauver. Salvatore, le sauveur, se dit pantin de pacotille. Traumatisé par ces pertes, et de retour au pays, il tombe. Peu à peu, l'alcool et les stupéfiants deviennent d'adorables consolateurs et des oreilles attentives, meilleurs que le plus altruiste des psychologues. La machine est enclenchée, pas de retour en arrière : il dégringole, le boulot se casse la gueule avec lui. Mais il s'en fout, il veut plus pratiquer, il veut oublier. Retraite anticipée.

• A quarante balais passé et dans un état lamentable, il sait qu'il est pas rentable, surtout foutu au placard. Il se démerde avec sa bourse de retraité pour acheter de quoi survivre, il dépanne des amis de son grand frère pour des petits boulots au black. Pas les bons. Pas les plus beaux.
Y'a eu le braquage de la boutique de fleurs du Borgo Milano. Un truc simple, bas-résille sur la tête, arme en plastique, faire peur à la donzelle et se barrer avec le fond de caisse.
Pourtant, ça s'est pas passé comme il le fallait.
Il a rien compris.
Le black-out total. Un malaise en plein braquage. De quoi passer pour le pire des cons.
En se réveillant, il comprend vite que ses potes cachetons et bouteille n'y sont pas pour rien.
Mais il trouve un inconnu près de lui, celui qui a appelé les secours pour sauver leur agresseur. Un gamin altruiste, un peu cloche. L'employé de la boutique.
Depuis, il vient presque tout les jours pour surveiller son état. Pour l'aider dans son sevrage. Ils parlent, longuement.

Et il ne sait pas pourquoi, mais Salva, il se dit qu'il pourrait être celui que l'on sauve pour une fois.