J'suis pas forte, d'ailleurs j'l'ai jamais été. C'est con à dire, mais ce sont les autres qui me rendent forte. Battiste me rendait forte. Me réveiller l'matin pour l'voir m'faire un sourire me donnait envie d'affronter ma journée, peu importe comment elle serait. Gaïa m'rend forte. Recevoir un message de sa part m'remplit d'assez de motivation pour passer une journée d'plus sur Terre. Raf m'rend forte. L'idée d'me blottir contre lui l'soir suffit à m'dire que j'ai une raison d'rester là. J'suis forte parce que les autres m'donnent des raisons d'vivre. J'serais toute seule, j'hésiterais pas un seul instant, aussi dramatique que cela puisse être interpréter. J'suis pas forte, j'ai simplement des gens qui tiennent à moi et pour qui j'suis prête, dans une certaine mesure, à me battre. Vraiment dans une certaine mesure, parce que franchement, l'reste du temps, j'ai la flemme. L'reste du temps, j'ai envie d'm'enfouir sous ma couette pour attendre qu'la mort vienne et m'prenne. L'reste du temps, j'ai envie d'courir un marathon pour finir sans énergie aucune et tomber sur l'sol, vidée, lessivée. L'reste du temps, j'ai simplement plus envie d'être là.

Aujourd'hui, néanmoins, ma source de motivation première, c'est Gaïa. On s'est donné rendez-vous au café latte, et j'dois donc me bouger un peu histoire qu'elle ne s'inquiète pas. Parce que j'sais que d'une certaine manière, elle n'est pas dupe. Elle sait qu'au fond j'suis jamais vraiment là, après, j'suis pas certaine qu'elle se l'avoue. J'pense pas que qui que ce soit ne veuille se l'avouer, d'toute façon. Même moi, j'le veux pas. J'fais semblant, constamment, et ça m'convient. Au moins, les autres ne s'posent pas d'questions, et c'est l'principal. Putain, quand j'y pense, c'est bientôt mon anniversaire, c'qui veut dire que bientôt, j'aurai affronté une nouvelle année de ma vie. Ça s'trouve c'est pour ça qu'elle veut qu'on s'voit, qui sait. Fin bref, peu importe.

Toujours est-il qu'aujourd'hui, j'la vois. Aujourd'hui, j'me bouge le cul, j'sors de chez mes parents, et c'est la seule chose à laquelle je puisse penser. J'sais pas encore trop si ça m'emplit d'joie ou pas, mais en tout cas, ça a suffit à me requinquer suffisamment pour que j'abandonne mon vieux pyjama (qui est constitué en tout et pour tout d'un des vieux tee shirt de Raf et un jogging un peu trop large qui m'tombe sur les hanches) l'temps d'prendre une douche. En à peine quelques minutes j'me suis retrouvée prête, et j'me suis rendu compte qu'j'étais carrément à l'avance. J'aime pas ça du tout. J'finis par m'asseoir sur mon lit, mon téléphone en main ouvert sur mon fil d'actualité Twitter, et j'ai patienté, comme ça, pendant quarante-cinq minutes, l'temps qu'il soit l'heure pour moi d'partir. Et à c'moment là, j'me suis dit que j'pouvais très bien rester chez moi, faire la morte — quelle ironie. J'me suis dit qu'au pire, c'était pas grave. J'aurai l'droit à un message de Gaïa m'demandant pourquoi j'suis pas venue, et basta.

Ç'aurait été tellement simple d'me défiler, et pourtant. Pourtant j'me retrouve devant la porte du café latte, jetant un coup d'œil circulaire pour voir si ma rouquine d'amie est déjà là. Mais il n'y a personne, et j'finis donc par pousser la porte afin d'rejoindre une table. L'temps qu'elle arrive, j'ai déjà commandé un cappuccino et une tarte aux myrtilles pour moi, ainsi qu'sa boisson favorite. Manque plus qu'elle arrive, donc.