Il est quatorze heures et vingt-huit minutes lorsque je franchis le seuil de la boutique. Je jette un œil au morceau de papier que j'ai en main et sur lequel j'ai inscrit l'adresse de Como Flora. Je vis à Vérone depuis cinq ans et bien que je vive dans le quartier, je n'avais encore jamais prêté attention à cette boutique. Peut-être parce que je n'allai pas me marier, à l'époque. J'entre donc d'un pas prudent en regardant tout autour de moi ; il y a des fleurs partout, ça sent bon le pollen et les tiges fraichement coupées. Je constate qu'il y a déjà quelques clients ; alors je flâne dans les allées, m'arrêtant tantôt devant une orchidée rose, tantôt devant un bouquet de lys blancs. Je suis venue sans vraiment savoir pourquoi, en réalité ; il faut en effet que je m'occupe des préparatifs du mariage, mais je n'avais pas pensé à le faire seule. Enfin, je me dis que de toute façon, les fleurs c'est plutôt mon domaine que le sien. Vous connaissez les hommes, à peine capables de faire la différence entre le rose et le rouge, alors comparer des fleurs...

Lorsque le client arrivé avant moi quitte la boutique, chargé d'un lourd panier floral, je m'avance timidement vers le comptoir. Une jolie femme m'adresse un charmant sourire et je me sens soudain un peu bête. Bonjour, excusez-moi de vous déranger, je viens voir... Ursa Major ? Je réalise alors que je ne connais même pas le prénom de l'homme à qui j'ai parlé sur /LOVE. La honte. Je pique un fard et baisse les yeux, enlisée dans ma gêne. C'est-à-dire que j'ignore son prénom, mais il m'a dit qu'il travaillait ici à partir de quatorze heures. Un homme. Grand, j'imagine, avec... Beaucoup de cheveux. Bravo Anteia, tu viens de décrocher la palme d'or pour l’introduction en société la plus pourrie au monde !

@Isidore Renaldi  

Je venais de prendre mon service, ce jour-là. Pile à l'heure, pour une fois. Flora, la patronne de la bien nommée boutique de fleurs Como Flora dans laquelle je travaillais depuis quelques années maintenant, savait bien que j'avais tendance à trop traîner au lit. Elle avait gentiment accepté de me gracier d'horaires plus souples. Je m'étais arrangé pour travailler uniquement l'après-midi les lendemain de mes « escapades nocturnes », car il était hors de question que je conseille un quelconque client avec des traits fatigués et des traces de mon mascara préféré plein la figure. Flora n'avait aucune idée de l'existence de Satine, mais avec le temps, nous étions devenus suffisamment proches pour qu'elle puisse me faire confiance et m'accorder un temps de travail idéal.
Toujours est-il que, vêtu de mon attirail de parfait fleuriste, j'achevais dans l'arrière boutique la couronne commémorative pour le pot de retraite d'un illustre inconnu. Lorsque, subitement, une voix se fit entendre et que je me figea. Ursa Major. Quelqu'un connaissait mon pseudonyme sur la nouvelle application de rencontre de Vérone. Une femme, plutôt jeune à l'entendre...
Curieux, je sortais de ma tanière pour rencontrer le visage surpris de ma collègue. Et celui de la propriétaire de cette voix que je reconnus au bout de quelques secondes. Elle était aussi pétillante que ce laissait présumer son profil. C'était même une très jolie jeune femme. J'avais beau préférer les hommes, je restais toujours admiratif de la manière dont l'autre genre savait se sublimer. J'en étais presque jaloux...
« Ah, c'est vous ! Bonjour, mademoiselle ! », lançais-je, m'approchant d'elle et la rejoignant de l'autre côté du comptoir. « Ravi de vous rencontrer en chair et en os, Spangled. »
Ma timidité avait tendance à me quitter sur mon lieu de travail. C'était un endroit où j'étais presque aussi à l'aise que sur scène, et où je me sentais suffisamment confiant dans mes compétences pour m'affirmer davantage. Un sourire marqua mes traits tandis que je rangeais mes gants dans la poche de mon tablier. « Alors, en quoi puis-je vous aider ? » Puis, un détail me frappa. Un très léger, minuscule détail. J'ouvrais alors ma main vers elle pour la saluer plus formellement, prêt à serrer celle qu'elle me tendrait en retour. [color=#006699]« Je ferais peut-être mieux de me présenter d'abord ! Je m'appelle Isidore... Et vous ? »

Alors que l'envie de me cacher sous ma couette pour oublier ma honte menace d'avoir raison de moi, un jeune homme fait son entrée dans la boutique depuis un accès réservé au personnel. Je l'observe avec curiosité tout en me demandant s'il s'agit bien de mon correspondant inconnu. A en juger par son attitude et son visage, ce doit être lui ; il ressemble bien trop à ses photos pour avoir menti. Lorsqu'il m'avise, un sourire chaleureux illumine son visage. Allez savoir pourquoi, je me sens presque tout de suite en sécurité. Alors je souris à mon tour tandis qu'il contourne le comptoir pour me rejoindre. Je réalise alors qu'il me salue en me vouvoyant ; drôle de chose, comme la réalité peut vous remettre les idées en place. Je n'avais pourtant pas hésité à le tutoyer sur /LOVE mais j'imagine que devant sa collègue, il vaut mieux donner le change. Je laisse échapper un rire amusé lorsqu'il m'appelle par mon pseudo, Spangled. Scintillante. Quelque chose qui me colle plutôt bien à la peau. Ravie de vous rencontrer également, monsieur Ursa Major !

Il entreprend de ranger ses gants dans son tablier puis me tend la main dans un salut officiel tout en se présentant dignement. Isidore. Charmant prénom, qui lui va comme un gant d'ailleurs. Enchantée, Isidore. Moi c'est Anteia. Je jette un œil autour de nous et le gratifie d'un nouveau sourire malicieux. Cette boutique est splendide, j'aime beaucoup l'aménagement. Vous travaillez ici depuis longtemps ? Je me dis qu'il n'est peut-être pas génial de faire un brin de causette sur ses heures de boulot, surtout au nez de sa collègue. Peut-être même sa patronne, je n'en sais rien. En tout cas, eh bien... Je suis à la recherche d'un fleuriste pour m'aider à préparer mon... Mariage. J'ai lâché ça avec un peu de nervosité, mais du bonheur quand même. Penser à tout ce que je dois prévoir, organiser et effectuer d'ici à la date butoir me donne des vapeurs. J'espère au moins pouvoir trouver quelqu'un de compétent dans le domaine floral, étant donné que cela représente beaucoup pour moi. Et quelque chose me dit que cet Isidore a tout du parfait gentleman, prêt à nous aider mon fiancé et moi.

Les clientes adorables, j'en voyais souvent. Des jeunes femmes dans la fleur de l'âge, fraîches, roses, des petits bouts de vie campés sur des jambes interminables. Des nymphes chanceuses, douces à s'émerveiller, qui repartaient les bras chargés de couleurs végétales. J'aimais ce type de visite, c'était même la partie que je préférais dans mon boulot. C'était moins larmoyant que composer une couronne funéraire, et moins redondant qu'un énième lourdeau qui venait acheter un bouquet à la va-vite pour s'excuser d'avoir trompé sa femme. Encore. Ou d'avoir oublié son anniversaire. Encore.
Cette jeune femme était de celles qui apportait un vent de douceur quand la boutique sentait le renfermé, ou pire, l'habitude. Bien que je l'ai rencontrée sur /LOVE, le tutoiement, je l'avais oublié au profit du cadre réel. Mais ça importait peu, d'où elle venait. Je me mettrais en quatre pour satisfaire le moindre de ses désirs floraux, ne serait-ce que pour conserver l'image gravée d'un sourire radieux. Ça avait quelque chose de vraiment beau. C'était peut-être pas pour rien, ces peintures romantiques, où des milliers de minois charmants s'inscrivaient dans le temps.
C'est mon sourire qui devient radieux quand elle complimente les lieux. Como Flora, c'est un peu comme chez moi, en mieux. Y'a plus de place pour le bonheur simple d'une fleur éclose.
Merci ! Je transmettrai à la patronne ! Ma main s'égare dans ma nuque, la gêne me guette, même quand je ne suis pas la cible de ces jolis mots. Hum, eh bien... ça va faire sept ans cette année. Je fais parti des plus vieux pots de ces lieux ! Un rire s'échappe, cristallin, s'envolant vers les parois vitrées. Il n'y a qu'en riant que j'arrive à tromper la timidité. Parfois nerveusement, mais ça soulage autant qu'un éclat.
L'éclat, je le retrouve dans les yeux de ma cliente, pétillante, qui m'explique sa démarche. J'ai, alors, le cœur qui fond, doucement, il s'échapperait presque par les pores de ma peau. Il imbiberait mon tablier, et la boutique entière. Mon propre regard se calque au sien, brillant sincèrement, à l'annonce d'un tel événement. Un mariage ?... Mais c'est fantastique ! Merveilleux ! Toutes mes félicitations !! J'ai le ton aigu, le sourire cramponné aux lèvres, ça trahit ce côté prépondérant chez moi : l'amour des choses enjoués, des moments de tendresse pure. Je me substitue au bonheur des autres pour construire le mien, et ça n'a jamais été plus vrai que maintenant. Ne vous en faites pas, vous avez frappé à la bonne porte Anteia ! Je serais ravi de vous donner un coup de main pour ce jour exceptionnel ! Alors, racontez-moi un peu ! Vous avez déjà prévu un thème ? Ou une gamme de couleurs, peut-être ? Je veux tout savoir, pour vous aiguiller au mieux.
Je transpire l'enthousiasme, mais mon sourire creuse des fissures dans mes joues. A force d'aimer mon boulot, je vais me ruiner en crème anti-rides.

Sept ans, déjà ? D'un certain côté, je ne suis à Vérone que depuis cinq ans. La boutique a donc toujours fait partie de mon environnement, ce qui explique peut-être que je ne l'avais pas remarquée plus tôt. Ca, ou bien je suis beaucoup trop occupée dans ma vie pour avoir le temps de flâner à droite et à gauche... Quelle tristesse, surtout pour une personne comme moi qui adore les fleurs. Je suis néanmoins ravie d'être tombée sur ce charmant fleuriste ; son sourire me met tout de suite en confiance et il me semble compétent et sûr de lui. Au moins, il n'a pas l'air d'être un charlatan. Sans trop savoir pourquoi, j'oublie tout attitude méfiante et suis presque prête à lui manger dans la main ; tant que mon mariage est réussi, c'est tout ce qui m'importe. Lorsque je lui dis que je vais me marier, il semble transformé. Il a l'air presque aussi heureux que moi ! Son attitude me fait rire et ainsi pétillante, je réalise que /LOVE a de bons côtés. Sans l'assistant, je n'aurai jamais mis les pieds ici ! Merci, merci ! J'avoue que j'ai hâte et qu'en même temps, l'idée me panique. J'ai encore du mal à y croire, vous voyez ? Mais cela ne pouvait pas mieux tomber, finalement ! Une cérémonie réussie, c'est tout ce qui me tient à cœur. Je suis heureuse de savoir que je peux compter sur vous !

A vrai dire, il semble presque plus excité que moi par l'idée. Il commence déjà à parler couleurs, thèmes... Autant de questions que je n'ai même pas abordées avec Lupo. Je souris gauchement avant de me passer une main dans les cheveux. Eh bien... Tous ces détails ne sont pas encore fixés. Je veux dire, nous n'en avons pas exactement parlé, mais... J'aimerai quelque chose de doux, de romantique. Peut-être du doré et du blanc, avec des touches de rose. Je crois que ça lui plairait aussi. Je n'ai même pas encore acheté ma robe, et je pense déjà aux fleurs. La logique voudrait pourtant que j'assortisse le décors à me tenue, non ? Mais ça, c'est tout moi. Je prends les choses dans le désordre pour faire un puzzle à ma sauce. Il faut croire que c'est plutôt charmant, tant que j'ai été demandée en mariage ! Allez comprendre la logique des hommes...