LIPS SO GOOD I FORGET MY NAME
evenora

tes pieds qui frôlent le sol. ce n’est pas un pas décidé. c’est léger. tu effleures, de peur de faire trop de bruit. tu ne veux pas attirer les regards. tu angoisses. tu doutes. tu ne sais pas si c’est une bonne idée. tu es à deux doigts de faire demi-tour. tu n’es même pas sûre d’arriver à destination. tu avances. un pas devant l’autre. tes doigts qui s’accrochent à ton sac à main. tu cherches une ancre, une bouée de sauvetage. quelque chose auquel te rattacher. mais rien. c’est vide. pas de souvenir. pas d’attache. t’es perdue. au milieu de cet océan. pas d’ile déserte au loin. pas de bout de terre. juste cette énorme étendue d'eau. l’inconnu, le lointain, la peur. les mots de tes parents qui restent dans ta tête. eux qui t’ont dissuadé de faire ce chemin. les remarques, le chantage, la contrepartie financière. tout était envisageable pour eux. tout pour t’emmener avec eux à Rome. loin d’ici, loin de ta ville, loin de tes souvenirs. les yeux de ta mère presque suppliants. elle aurait voulu te garder auprès d’elle. elle aurait voulu te ramener. te surveiller, t’avoir pas loin et probablement vérifier ton état de santé. avoir le contrôle, c’est ce que tes parents recherchent. sans cesse. depuis que tu es toute petite. alors ton amnésie leur donne l’opportunité de corriger ta vie. ces aspects qu’ils n’appréciaient pas. ces choix que tu as fait qu’ils n’ont jamais approuvé. ton déménagement, ton métier, ton éloignement. ça c’est ce dont tu te souviens mais tu es sûre qu’il y a beaucoup plus. probablement une vie amoureuse, une vie de couple. tu en es persuadée. tes parents ont trop longuement insisté pour que tu viennes à Rome. c’était louche, beaucoup trop. mais il y avait Even. cet inconnu qui a veillé sur toi pendant toute ton hospitalisation. le jour de ta sortie, il est venu. il t’a déposé un sac avec des affaires à toi. tu n’as pas trop cherché à comprendre comment ni pourquoi. il l’a juste fait sans que tu ne le demandes. tes yeux noisettes ont juste trouvé ses yeux clairs. ça semblait naturel pour lui de le faire. comme si ça ne pouvait pas être autrement. son regard toujours rassurant, apaisant. tu as envie de lui faire confiance. puis tes parents ont débarqué. prêts à riposter. ton père qui a voulu le dégager de ta chambre. tu n’as rien compris. spectatrice de ce combat de coqs. sans en connaitre la raison. ton père et lui qui se fusillaient du regard. Even qui s’est battu pour que tu restes à Vérone. il semblait déchiré à l’idée de te voir partir avec eux. il ne lâchait pas le morceau, refusant de leur donner raison. ta bouche s’est ouverte pour te rallier à cet inconnu. un instinct. une envie. lui faire confiance. face à tes parents. ta mère horrifiée de te voir contre elle. et tu veux continuer. il te fait quelque chose. tu réagis à sa présence, son odeur, son contact. tu sais qu’il est lié à toi. il a eu un impact sur ta vie. ta vie à Vérone. avant l’accident. alors il aura des réponses. forcément. il était avec toi dans cette voiture, il sait forcément des choses. te voilà plantée devant sa porte. à la recherche de réponse, de souvenirs. tu veux briser ce mur. ce trou noir dans lequel tu nages depuis quelques mois. cette amnésie qui t’empêche d’avancer. ta main se pose contre la porte. pas des coups francs. c’est incertain, timide. puis il est devant toi. à quelques centimètres. cette chaleur qui immédiatement t’entoure. tu te mordilles la lèvre, gênée de te retrouver là. tu te sens idiote d’un coup. tu te dis que tu le déranges probablement. tes yeux se lèvent pour trouver les siens. quelques secondes de silence. un silence apaisant, loin d’être gênant comme si tu le voyais pour la première fois. puis tes lèvres qui s’entrouvrent. ta voix douce, fébrile. « je suis désolée… je te dérange probablement… je… je repasserai… » tu te perds toute seule. les mots qui s’enchainent. un voile transparent dans les yeux. tu as envie de fuir. tu te sens idiote. débile de venir lui demander de l’aide. parce-que oui c’est ça. tu as besoin de lui. et c’est dur à avouer. alors tes yeux qui fuient les siens. tu bouges la tête. tes mains qui s’agitent. tu recules. tu lui tournes le dos, prête à repartir. mais il te retient. sa main qui vient trouver ton bras. un souffle qui s’échappe de tes lèvres. soulagement. alors tu te retournes. tu lui fais face. il est proche. terriblement proche. légèrement plus grand que toi. tu lèves la tête. un léger sourire au coin des lèvres. « j’ai… j’ai besoin de toi. » il l’a compris. tu en es quasiment sûre. « pour mes souvenirs. pour cette foutue amnésie. je veux que tu m’aides à me souvenir. » tu lèves les yeux au ciel. ça te brûle les lèvres. tu n’aimes pas demander de l’aide. tu n’aimes pas dépendre des autres. « s’il te plait » un souffle. un murmure. une demande. tu sais qu’il l’a entendu. tu veux juste qu’il te fasse rentrer et qu’il mette un peu d’ordre dans ton cerveau.

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