T'es fatiguée. Tes rendez-vous t'ont épuisé. Tu voudrais passer la soirée au lit, tourner encore et encore dans tes draps. Ne pas trouver le sommeil. Te lever au beau milieu de la nuit et parcourir Vérone, t'allonger sur l'herbe et contempler les étoiles. Te perdre dans l'immensité du ciel. Te surprendre à rêver d'un avenir. Mais ce soir, tu peux vraiment pas. T'as des obligations. En fait, t'aurais pu annuler. Mais t'en as pas envie. Tu vas passer la soirée avec Cleo. Tu la connais depuis quelques mois maintenant. Vous êtes amies. Juste des amies. Même si au fond, t'aimerais bien être plus que ça à ses yeux. Rêve. Douce utopie. Tu lui as rien dit pour ta maladie. T'es pas prête de lui en parler. T'as bien trop peur de la faire fuir, la jolie Rosier. T'es effrayée par l'idée qu'elle puisse être comme les autres. Qu'elle commence à te prendre en pitié. T'as pas envie de revoir ce regard. Tu voudrais qu'elle continue de te regarder comme une personne normale. Comme une idiote un peu banale. Tu veux pas que ça change. T'es pas prête.
Alors quand tu tousses un peu trop, tu mens. T'inventes des mensonges. T'es prête à tout pour dissimuler la vérité. T'accepterais même qu'on t'arrache le cœur. Mais tu peux pas, tu peux plus la vivre au grand jour, cette maladie. Ca fait fuir. Ca change les gens. T'es même pas certaine d'avoir des ennemis. Ils ont tous pitié. Ca te dégoûte. Toi aussi la maladie t'as changé. Plus le temps passe et plus tu deviens quelqu'un d'autre. Tu te renfermes. Tu gardes des secrets beaucoup trop sombres. Tu bois. Beaucoup. Tu te mets des races comme jamais. Tout ça pour oublier. Et le lendemain, tu te souviens de tout. Et la culpabilité te bouffe. Tu voudrais parfois tout arrêter. Mais tu sais que c'est impossible. Alors tu subis, en silence. Tu souris. Et tout le monde te croit. Parce qu'ils veulent pas te savoir souffrante. Alors ils se persuadent. Ils acceptent de croire à tes mensonges. Ca facilite la vie. Tu les blâmes pas. Tu les comprends trop bien.  
Mais pour toi, c'est pas aussi simple. C'est au quotidien. T'es celle qui accepte le mieux la situation alors que tu devrais pas. T'es peut-être habituée. Ca doit être ça. T'es habituée. C'est pas quelqu'un à laquelle tu devrais t'attacher mais ta maladie fait partie de toi. Et au fond, sans elle, tu te sentirais bien seule. C'est sans doute pour ça que la greffe te fait autant peur. Et si t'étais plus la même sans elle, et si en allant mieux, tu changeais, que les gens arrêtaient d'être là pour toi. Tu te mords la lèvre inférieure. Tu ne sais pas depuis combien de temps tu marches mais quand tu arrives enfin devant l'immeuble de Cleo, tu soupires de soulagement. Tu te rends jusqu'à la porte de son appartement et frappe. T'as envie de la voir, elle. Rien qu'elle. Qu'elle te brise par son sourire enfantin.

shatter me

cleollia
Tu pousses un (trèèès) long soupir de soulagement lorsqu'Anna, ta colocataire, se décide enfin à s’éclipser en grommelant. Mission accomplie ! Une fois n'est pas coutume, t'as réussi à te négocier l'utilisation exclusive de l'appartement pour la soirée. Ça t'a coûté cher - un mois complet de corvée de vaisselle - mais le jeu en valait la chandelle. Tu vas pouvoir passer un petit moment tranquille avec Gabriella. La jolie. La douce. Gaby. Votre rencontre, tu la vois comme un signe du destin ; un dimanche matin devant l'église, précisément le jour où tu t'étais décidé à y retourner. D'ailleurs, la belle ne devrait pas tarder à arriver et il serait plus que temps que tu termines de te préparer. Ni une ni deux, tu files dans ta chambre enfiler une tunique propre et un jean. Tu ramènes tes cheveux en chignon sur le dessus de ta tête, glisses une mèche auburn rebelle derrière ton oreille, puis te diriges vers la cuisine pour vérifier la cuisson de ton gratin dauphinois... Sauf que tu es coupée dans ton élan par quelqu'un qui toque à la porte.

Ton cœur fait un bond en avant.

Immédiatement.

Ce doit être elle.

Mains moites. Palpitant battant. Tu te décides à aller ouvrir. Et un doux sourire illumine ton visage à l'instant même où tu la vois.

- Coucou toi.

Tu t'effaces pour la laisser rentrer dans l'appartement, puis tu refermes la porte derrière vous.

- Tu me donnes ta veste ? Je vais l'accrocher.

La porte s'ouvre. Et toi tu restes plantée là, un instant abordée par la beauté de celle qui se trouve devant toi. Tu souris, tu ne peux pas t'en empêcher. Quand tu la vois, ton cœur loupe des battements. Il sait plus comment se comporter, entre accélération et arrêt brutal. Et toi non plus, tu sais plus quoi faire. Tu sais plus comment agir. Tu dois la serrer dans tes bras ou lui serrer la main? Avec toi c'est tout ou rien. Elle est belle, intelligente, elle a tout pour elle. Tu te sens ridicule à côté de la belle. Regarde la, sa peau a l'air si douce. Et ses yeux, tu pourrais t'y perdre. Tu pourrais t'y noyer. Mais t'es incapable de soutenir son regard sans détourner le sien. T'as pas envie de rougir comme une idiote. Ta peau est beaucoup trop pâle, elle le verrait immédiatement. Et toi, tu passerais pour une imbécile. T'essaierais sans doute de justifier ça par la température mais t'es pas certaine que ça fonctionnerait. Tu veux pas tenter le diable. Alors quand tu sens ses yeux se poser sur toi, tu souris doucement mais tu dis rien. Tu la regarde pas. T'attends qu'elle soit occupée à autre chose pour la détailler.  
Quand elle te sourit, tu songes un instant à t'enfuir. T'en as le souffle coupé. Tu te répètes qu'elle est belle et que t'as vraiment l'air d'une cruche à côté d'elle. Tu dis rien, tu te tais, tu te contentes de lui rendre son sourire. T'essaies de pas dévoiler tes dents mais c'est plus fort que toi. Tu te mords la lèvre inférieure. "Coucou toi." Et tu meurs un peu plus. On dirait une adolescente. Tu sais pas si t'as pitié ou si t'es enchantée. Tu voudrais te cacher, t'as honte de tes réactions. Mais t'arrives pas vraiment à te contrôler. Et peut-être que dans le fond, t'en as pas envie. Le temps d'un souffle coupé. Tu rentres dans son appartement alors qu'elle referme la porte derrière vous. T'es un peu tendue mais t'essaies de pas le montrer. T'es faible quand elle est là. "Tu me donnes ta veste ? Je vais l'accrocher." Tu te sens un peu idiote, plantée là. Tu te déshabilles avant de lui tendre doucement ton vêtement. "Ta colocataire n'est pas là ?"T'es curieuse. T'as déjà du la rencontrer, une ou deux fois. C'est pas vraiment la première fois que tu viens. Tu vas t’asseoir sur le canapé, t'as l'habitude. Tu sais comment ça marche maintenant. Tu humes l'air. En plus d'être jolie et d'avoir toutes les qualités possibles, elle sait cuisiner. Tu l'observes du coin de l'œil, tu lui souris. Son rire résonne et puis s'enfuit. 

shatter me

cleollia
Gaby, t'as l'impression que t'oublies à quel point elle est jolie d'une fois sur l'autre. C'est plus fort que toi, tu te sens fondre quand tu la vois. Comme un glaçon exposé aux rayons du soleil... Ouais, c'est tout à fait l'effet qu'elle te fait. Alors forcément, quand elle se met à mordiller sa lèvre inférieure, ton cœur loupe un battement. Peut-être bien deux. Tu sais même pas comment tu fais pour réussir à aligner une phrase cohérente, l'inviter à entrer, puis refermer la porte derrière vous. Mais c'est ce que tu fais. Le plus naturellement du monde qui plus est. Peut-être qu'à force de faire comme si tout allait bien quand tout allait mal, c'est devenu une seconde nature chez toi.

- Non, elle est sortie, tu réponds quand Gaby t'interroge sur ta colocataire. J'ai réussi à négocier l'appartement pour la soirée.

Tu ponctues ta phrase par un clin d’œil avant de récupérer délicatement le vêtement qu'elle te tend. Ensuite, tu le mets sur cintre et l'accroche dans la penderie de l'entrée. Cela étant fait, tu peux t'autoriser à oublier un instant ton rôle de maîtresse de maison. Ta belle invitée s'étant assise sur le canapé du salon, tu la rejoins et t'assoies à ses côtés. Alors là, doucement, tu la prends dans tes bras. Ton cœur bat vite. Fort. T'éternises pas votre étreinte parce que t'as peur qu'elle perçoive ses battements anarchiques. L'état dans lequel elle te met. Malgré tous les efforts que tu déploies pour te contrôler.

- Je suis si contente de te voir ! Ça faisait un petit moment que j'avais envie qu'on fasse quelque chose ensemble.

T'attrapes un paquet de gâteau apéritif que t'éventres sans pitié sous ses yeux. Le bruit Tu le verses dans un bol sur la table basse.

- Un petit verre ?