C'est étrange comme les choses sont faites, un jour on est persuadé de quelque chose et le lendemain, comme en un claquement de doigts, tout ce qu'on croyait certain ne l'est plus du tout. Je suis assis en face de Giulietta Borgia et c'est à ça que je pense en la regardant, alors qu'elle me parle de son boulot à l'hôpital. J'admets que j'écoute vaguement, mon esprit s'absente un peu, je me demande si je fais bien d'être là et je sais que non, mais ça rend le moment encore meilleur. Je devrais probablement être avec Chiara à l'heure qu'il est, mais je suis ici, dans un bar, avec Giulietta Borgia. Son patronyme aurait du m'arrêter, mais la façon dont on s'est revu a fait que nos noms n'avaient pas d'importance. Giulietta sait pour Chiara. Elle travaille à l'hôpital. Nous n'en parlons pas, en fait. Mais je sais qu'elle sait, et ça fait du bien de ne pas avoir à se cacher. Je la regarde et je la trouve ravissante, les derniers fois que nous nous étions vus, nous étions généralement à la salle de sport où à l'extérieur, pour courir. La voir autrement que dans une tenue de sport est assez agréable, même si les vêtements de sport lui sont flatteurs.
Je me reconnecte à elle et à ce qu'elle dit, je pose mes doigts sur le pied de mon verre de vin pour le faire légèrement tourner et le liquide rouge glisse contre le verre en petit tourbillon, j'observe sa robe, puis je le soulève pour en boire une gorgée. Le vin est puissant, fruité, long en bouche, et il en exhale une légère odeur de poivron. J'affiche une mine satisfaite en relevant les yeux vers Giulietta. "Comment tu le trouves? " je lui demande, et ça m'intéresse vraiment. Il est toujours assez intéressant de voir comment les personnes réagissent aux vins. Ce n'est pas un Sorabella mais il fait largement l'affaire, c'est un Cabernet-Sauvignon, 2013, pas très vieux mais suffisamment pour être dégusté, il s'agit probablement du meilleur sur la carte des vins du bar qui ne propose pas un très grand choix. Les vins italiens mis à l'honneur ne le sont pas vraiment, des vins de supermarchés peu onéreux et décevant en goût, bon pour les touristes qui croient vivre une expérience italienne sans savoir qu'ils boivent de la piquette. Le vin français était le seul digne de ce nom vers lequel se tourner. " Je crois que je vais aller au lac de Garde ce week-end, faire de la plongée, j'ai envie de bouger un peu d'ici, " je souffle, doucement, sans sous-entendu particulier, juste parce que c'est vrai, Vérone m'oppresse un peu ces derniers temps et je crois que ça me fera du bien de voir autre chose, sans aller forcément très loin, juste histoire de changer d'air. " Tu as des plans, de ton côté ? "

La vie est drôlement faite … Giulietta n’avait jamais pensé une seule seconde se retrouver face à Rafa Sorabella pour un dîner en tête à tête. Oui, ils se croisaient à la salle de sport et oui ils faisaient du sport ensemble et oui Giulietta flirtait avec lui c’était plus fort qu’elle mais elle n’aurait jamais pensé se trouver là à parler de son boulot à l’hôpital. Pourquoi ? Parce que justement c’était là qu’elle avait rencontré Rafa. Abasourdit, complètement abattu, tout le monde lui passait devant sans rien dire. Giulietta elle s’est arrêtée après que sa collègue lui ait expliqué la situation. Elle lui a offert un café et des bonbons et n’a pas dit grand chose. Mais il avait l’air tellement triste. L’idée d’avoir des enfants ne lui avait pas encore traversé l’esprit. Moins par son âge que par le fait qu’elle n’avait encore trouvé personne qui lui plaisait assez pour se lancer dans ce genre d’aventure. Personne n’avait assez fait battre son cœur. Mais lui était marié, ça Giulietta elle le savait parce que toutes les grandes familles de Vérone savaient tout sur les autres. Oh elle voyait bien qu’il l’écoutait à peine mais elle s’en fichait. De toute manière, ce n’était pas comme si ses journées à l’hôpital étaient géniales. Et puis elle travaillait avec des enfants alors … Cependant, elle était ravie d’être là. Rafa était un bel homme, personne ne pouvait le nier. Et ils se ressemblaient un peu, sur certaines choses. Ce qui était bien avec Giulietta c’est que les silences gênants n’existaient pas. Alors qu’elle avalée la dernière bouchée de son assiette, elle l’entendit lui demander : « Comment tu le trouves? » Ses yeux se posèrent sur le vin. Oh … Giulietta était loin d’être une grande experte mais elle savait que c’était la spécialité des Sorabella, cette famille que les Borgia avait décidée d’haïr comme ça, pour soutenir les Armani. Cela faisait un peu Roméo et Juliette à ses yeux et elle n’en avait rien à faire. Giulietta faisait ce qu’elle voulait avec qui elle l’entendait. Buvant une nouvelle gorgée de la boisson fruitée, elle lui dit : « Il paraît que rien n’est aussi bon qu’un Sorabella mais celui que j’ai dans les mains est intéressant. Fruité, ce sont mes préférés. » Oui, elle n’avait jamais goûté à un Sorabella. Disons que ses parents n’en remplissaient pas leur cave c’était sûr et certain. Son verre en main et par petites gorgées, elle ne tarda pas à le terminer. Le vin n’était pas sa spécialité mais Giulietta savait l’apprécier et le déguster quand on mettait une bonne bouteille sur sa table. « Je crois que je vais aller au lac de Garde ce week-end, faire de la plongée, j'ai envie de bouger un peu d'ici. Tu as des plans, de ton côté ? » Le sourire en coin qui apparut sur le visage de la belle brune était presque malgré elle. Parce que même si elle ne s’était pas attendue à une invitation au restaurant, elle ne restait un peu suffoquée de l’invitation qui se cachait derrière les paroles de Rafa. Elle peut voir toutefois à quel point il a l’air fatigué. Garder les apparences intactes, cela demandait beaucoup d’énergie, elle le savait voilà pourquoi elle avait abandonné. « A part ma garde de nuit vendredi ? Non, je suis libre samedi matin à six heures pour le week-end. » Dit-elle avec un petit sourire. « Et si tu cherchais à me voir en bikini il fallait le dire plus tôt ! Je te préviens, je ne suis pas la meilleure nageuse cependant. » Dit-elle avec un clin d’œil. Flirter était sa spécialité, c’était surtout quelque chose qu’elle adorait, un peu comme une drogue.

Giulietta apprécie le vin et je lève les yeux au ciel quand je l'entends dire que le vin n'est pas aussi bon qu'un Sorabella, je me demande vraiment si elle a une idée de ce qu'elle dit bien que je doute que les Borgia ait jamais acheté une de nos bouteilles. Les Borgia ne nous apprécient pas trop, ils ont décidé un jour de s'allier aux Armani contre un seul ennemi commun : nous. Ca relève beaucoup de l'enfantillage et des vieilles rancunes, et si plus jeune je prenais un certain plaisir à provoquer les fils Armani et Borgia, c'est un peu moins le cas à présent même si je dois admettre que je n'en porte vraiment aucun dans mon coeur. Giulietta est en dehors de tout ça et nous n'en avons jamais vraiment discuté, elle ne semble pas vraiment s'y intéresser et laisse cette bataille d'égos aux hommes de sa famille. Ca me convient. Quand elle me répond qu'elle est libre samedi matin à partir de six heure, j'hausse les sourcils, surpris, avant de sourire très légèrement. Ma question ne sous-entendait aucune invitation mais je suis presque flatté qu'elle ait décidé d'y en voir une en se rendant disponible. Elle taquine, parle d'elle en bikini et de ses compétences en natation avec un clin d'oeil et je me demande un instant ce que je dois faire et si je dois effectivement l'inviter à passer le week-end avec moi. J'hésite, et en fait, réellement, si ça ne tenait qu'à moi il est sûr que je l'aurais déjà invité, mais quelque chose m'en empêche encore, c'est cet anneau que j'ai toujours à la main gauche, et la pensée de Chiara. " On porte une combinaison, généralement, pour la plongée... " je rétorque, un peu moqueur, plus pour la taquiner que pour la refroidir. Ca me permet de dévier un peu la conversation, de passer sous silence l'invitation, pour le moment, parce que je ne suis pas encore assez sûr d'être prêt à le faire. " Moi qui pensais que tu excellais dans toutes les disciplines, " je dis, j'exagère évidemment pour la flatter, même si je dois avouer qu'elle se débrouille bien et qu'elle est loin d'être la plus mauvaise sportive qu'il m'ait été donné de croiser. " A défaut de porter un nom peu prometteur, " je la taquine, encore, évidemment, ça me fait sourire bien que ce ne soit un terrain encore peu exploité et que j'ignore comment elle pourrait le prendre.

Elle le regarde avec un sourire. C’était amusant de jouer ce petit jeu, tellement amusant. Elle savait bien qu’il était marié mais elle n’en avait rien à faire. C’était Giulietta, elle se fichait des mœurs, elle faisait ce qu’elle avait envi et elle ne pouvait nier qu’elle avait envi de Rafa Sorabella. Elle ne l’avait jamais caché, elle avait toujours flirté avec lui très clairement. S’ils en étaient là aujourd’hui c’était parce que lui il avait fait un pas vers elle. Oh Giulietta ne s’attendait pas à ce qu’il tombe amoureux d’elle et qu’il quitte sa femme. Non, elle savait qu’il traversait une période difficile et si elle pouvait l’aider à la traverser en gagnant quelques bénéfices, elle n’allait pas s’en priver, ce serait trop bête. Alors elle répondait à son invitation parce qu’elle ne pouvait pas passer à côté même si elle doutait de passer son week-end en dehors de Vérone. C’était trop tôt sans doute, pour lui. Elle ignorait ce qui se passait avec sa femme mais Rafa ne lui avait jamais semblé être le type d’homme qui trompe sa femme sans culpabiliser. Et si ça ne devait mener à rien ? Elle en aura au moins retiré des dîners avec un bel homme intéressant. « On porte une combinaison, généralement, pour la plongée... » Bien sûr qu’elle savait que l’on portait une combinaison. Mais ce n’était pas non plus l’habit qui mettait quelqu’un le plus en valeur … Et puis pour y rentrer il fallait enfiler un bikini donc bon. « Malheureusement si tu veux mon avis … » Dit-elle le plus sérieusement du monde. Et puis on ne fait pas de la plongée en combinaison partout, à Hawaï ça peut se faire simplement en maillot et Giulietta elle préfère cela. « Moi qui pensais que tu excellais dans toutes les disciplines. A défaut de porter un nom peu prometteur » Ah leurs noms … Toute une histoire … A vrai dire, Giulietta ne se souvenait même pas de l’histoire que ses parents lui avaient raconté au sujet des Sorabella. Elle avait grandi en apprenant à les garder de loin, cette famille qui n’avait rien fait à la sienne. Vu comment les Borgia traitaient Giulietta, cette dernière ne trouvait pas cela dérangeant de se trouver ici aujourd’hui. La brunette laissa échapper un petit rire avant de rétorquer : « J’ai bien peur que la demoiselle parfaite ne soit ma sœur. » Dit-elle en haussant les épaules et d’un ton amer avant d’ajouter : « Il semblerait que j’ai besoin de trouver un moyen de te faire oublier mon nom de famille. Et je ne manque pas d’idées. » Dit-elle en posant devant elle son verre de vin vide.

Ce que Giulietta déclare est intéressant et ça en dit probablement long sur qui elle est, elle n'est pas la demoiselle parfaite des Borgia, elle l'admet sur un ton amer, comme si elle en voulait d'une certaine façon à sa soeur. J'ignore si c'est réellement le cas, les relations internes de cette famille ne m'intéressent que très peu, mais sa réponse est curieuse et elle m'intrigue un peu. Je l'observe un instant en me demandant ce que ça peut cacher et je me dis qu'au final, nous avons peut-être plus en commun que je ne l'imaginais. Au sein des Sorabella j'étais le fils du milieu, coincés entre les deux aînés, jumeaux, et le benjamin prodige, et si Matteo a été banni de l'équation pour nos parents depuis maintenant dix ans, je reste entre Jago et Gabriele, le premier qu'on admire parce qu'il est l'aîné, sage et protecteur, l'autre qu'on adore parce qu'il est le dernier et qu'il reprend d'ors et déjà les rennes du business familial.
Giulietta reprend, elle ajoute : « Il semblerait que j’ai besoin de trouver un moyen de te faire oublier mon nom de famille. Et je ne manque pas d’idées, » en posant son verre de vin devant elle, vide. Je la fixe, les sous-entendus dans sa voix et ses yeux m'excitent un peu. C'est ce qu'elle cherche et je parviens difficilement à rester de marbre face à son attitude aguicheuse. Elle me décroche un sourire et j'attrape la carafe de vin pour lui en verser, « Tu m'as l'air effectivement pleine de ressources, » je souffle en lui jetant un coup d'oeil en coin alors que je me ressers également et les dernières gouttes tombent dans mon verre.
Giulietta rayonne par sa jeunesse mais aussi ce manque de diplomatie et d'intérêt pour les moeurs, elle semble se foutre royalement des qu'on-dira-t-on et j'apprécie d'avoir en face de moi une femme qui ne soit pas sans cesse entrain de se soucier de ce qu'on pourrait dire ou penser. « Je crois qu'on serait nombreux à s'accorder sur le fait que les femmes parfaites cachent toujours quelque chose... Mais généralement c'est trop tard, on les a déjà épousé, » dis-je, non sans sarcasme, un sourire aux coins des lèvres, en portant mon verre pour boire une longue gorgée. Je ne suis pas vraiment du genre à me plaindre, d'ailleurs il est assez rare que je me confie sur quoi que ce soit, mais j'ai de plus en plus envie de téléphoner à Jago pour lui dire que le mariage est une énorme connerie, parce que lui aussi, il sait.  « Tu veux aller ailleurs, après ? Ou bien, on se reprend un verre ici ? Ca dépend peut-être de tes plans pour me faire oublier ton nom de famille... Qu'est-ce que t'avais prévu ? »