Il la regardait sans la voir. Elle n'était plus, plus celle qu'il avait tant aimé. Celle à qui il avait passé l'anneau sacré au doigt. Isla déambulait dans la maison, lui l'observait sans réellement le faire. En fond sonore, Leo jouait un air de guitare, vague et las. Leo, ce fils qu'il avait eu. Fierté de quatorze ans, adolescent en crise, bonheur instable. Allongé dans le canapé, il se laissait bercer par ce son tandis que ses copies restaient vierges de corrections. Il restait dans son cœur un poids, ça le rendait nostalgique. Nostalgique des années où son mariage allait bien, des années où il pouvait projeter d'autres enfants avec cette femme qu'il avait aimé. Ne lui restait que Leo, l'erreur d'une nuit qui avait fait sa joie, la sienne et celle de sa mère. Il avait finalement délogé sa carcasse sur canapé pour rejoindre la chambre de son fils. Elle ressemblait beaucoup à la sienne, quand il avait son âge. Il lui ressemblait beaucoup, parfois trop. « Il vient à quelle heure, Luca ? » Jago, il avait souri en entendant ce nom. Il ne pouvait pas nier que son fils admirait son oncle plus que de raisons. Luca et ses vidéos, Luca et sa jeunesse, Luca et son univers si proche de celui de son frère. Jago, il ne l'avouerait jamais, mais il était fier. Fier de son jeune frère. « Il va arriver d'ici peu. » Et c'était de la lumière qu'il pouvait lire dans ses prunelles bleutées. Tant d'admiration pour un seul être pas toujours raisonnable, Jago ne pouvait s'empêcher de surveiller de trop près cette relation. Il avait retrouvé son canapé, finalement. Une copie pour l'occuper. Sept minutes et quelques secondes plus tard, la sonnette avait retenti. « J'y vais. » avait dit la voix douce et féminine de sa femme. Ce son, il l'aimait encore malgré tout. Leo, lui aussi, avait accouru. Jago n'avait pas bougé. « T'es trop vieux pour lever tes fesses et ouvrir à ton frangin préféré ? »  Cette arrogance le fait sourire, il le connait bien son frère. Il s'était finalement levé pour retrouver son frère à la table du salon. Une tape à l'arrière du crâne. « T'es mon seul frère, crétin. Puis Isla est belle, elle accueille bien les gens. » Inutile de dire qu'il avait simplement pas envie de bouger. Assis à côté de lui, à présent, il savait que les choses sérieuses aller commencer. Jago n'était pas sûr d'avoir autant de patience avec son frère qu'avec ses élèves. « Tu t'es bien préparé ? T'as pris ce que je t'avais demandé ? Tu crois que ce serait trop dur pour toi si je te parlais qu'en français ? » Il était là pour une leçon de français, après tout. Et Jago, il l'a maîtrisé depuis bien longtemps cette langue.

Jago, il se sentait vider. Différent aussi, en quelque sorte. Et ce rendez-vous avec son frère n'était sans doute pas la meilleure solution pour récupérer. Jago, il était fatigué. Moralement. Fatigué de faire semblant, fatigué de mentir sur ce couple soi-disant parfait qu'il pouvait mener avec sa femme. Fatigué d'être marié. Jouer les bonnes figures, lui, il n'y arrivait plus vraiment. Pourtant, il gardait le sourire face à son frère, acceptait sa plaisanterie sans broncher. Comme à chaque fois. Pour ne pas en parler, pour ne pas se montrer faible face à ce gamin qu'il aimait trop. « Le visage d'Isla est plus sympa que ta gueule d'ado boutonneux. » Sa répartie n'était plus aussi bonne qu'auparavant. Mais peu importait sur le moment. Il se fichait bien de ce que pouvait dire son frère, de son rire moqueur. Ce genre de comportement, ça lui donnait un peu de baume au cœur. « Cette merde ?! C'est un excellent bouquin. Et crois-moi, je dis rarement ça d'un manuel scolaire. » Il avait soupiré, plus exaspéré par son comportement que par sa critique. « T'auras qu'à en faire une vidéo, ça instruira tes abonnés comme ça. » Luca avait mis ses lunettes, l'air d'un premier de la classe au sourire espiègle. Il n'avait rien d'un intello, juste d'une vulgaire réplique qui n'avait rien de crédible. Jago, il préférait ne pas s'en préoccuper. « Le français, c'est une des langues les plus compliqués à apprendre, surtout à écrire donc on commencera par t'apprendre l'oral. » Jago avançait à l'aveugle, sans filet. Il n'était pas professeur de langue et n'apprenait pas à ses élèves à parler une langue d'ailleurs. S'il pouvait parler trois langues différentes, il n'était pas sûr de savoir les enseigner. « Montre moi ce que tu as dans le ventre, frangin. Page 8. » Il avait souri, par mesquinerie. Par taquinerie. Il allait commencer par la phonétique, par ces sons qui pouvait construire des milliers de mots. Sans fierté aucune, il s'appuyait sur le bouquin qu'il avait conseillé à son frère.